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5 juillet 2011 2 05 /07 /juillet /2011 16:55

Dans un article paru dans l'Expansion de juillet-août, Jean-Marc Jancovici soutient une thèse quelque peu provocatrice : le nucléaire civil serait un "garant de la paix".

 

Je reconnais que j'admire beaucoup le travail de Jean-Marc Jancovici sur l'étude scientifique approfondie de l'effet de serre et de l'énergie, et c'est même beaucoup grâce à son site que j'ai commencé à réfléchir à ces problèmes; je regrette d'autant plus que sur des sujets comme le nucléaire, il semble tout à coup abandonner une grande partie de son esprit critique et se mette à "raisonner " en fonction d'assertions souvent non argumentées et parfois très contestables. Exemples choisis (les questions du journaliste sont en italique gras, les réponses de JMJ en italique normal, mes commentaires en police normale) : 

 

Pensez-vous toujours que, pour répondre aux défis du réchauffement climatique, le nucléaire demeure un moyen indispensable?

Le monde merveilleux où l'on pourrait se débarrasser de tous les risques à la fois n'existe pas. Je reste persuadé qu'une augmentation de la température moyenne de quelques degrés sur un siècle aura des conséquences infiniment plus graves que la destruction d'une centrale nucléaire de temps en temps.

Autant on peut partager sa première phrase, autant la deuxième apparaît dès le départ comme une profession de foi sans aucune justification raisonnable. Sur quelle base JMJ affirme-t-il ça, et que veut dire "quelques degrés" ? deux ? cinq ? dix ? et "la destruction d'une centrale de temps en temps", qu'est-ce à dire? une par siècle? par décennie? par an ? où et dans quels pays du monde ? comment comparer les "gravités" sans répondre à ce genre de détail ? 

 Le nucléaire crée moins de risques qu'il n'en évite : moins on recourra au nucléaire civil, plus on sera menacé par des chaos économiques et sociaux, des guerres, des dictatures, et même... une guerre nucléaire ! Le nucléaire civil peut concourir au maintien de la paix dans le monde.

Assertion manquant tout autant de fondement, sans le moindre essai de rationalité. Si le nucléaire militaire a peut être évité des guerres entre puissances nucléaires, le nucléaire civil n'a jamais empêché à des pays puissants d'entrer en guerre, y compris et surtout pour des ressources d'hydrocarbures  ! il n'est qu'à mentionner l'attaque de l'Afghanistan par l'URSS après la chute du Shah, certainement liée à la protection de ses ressources gazières et pétrolières des républiques asiatiques, et les deux guerres d'Irak menées par les Etats-Unis. Des puissances pourtant tout ce qu'il y de plus nucléarisées ! 

Sans même parler de CO2, le nucléaire est beaucoup moins dangereux que le charbon. Depuis la catastrophe de Fukushima, qui n'a pas fait un mort du fait du surplus de radiations, le charbon a déjà tué 1 000 personnes dans les mines.

Sauf que le "danger" ne se mesure pas qu'au nombre de morts immédiats, et de plus le nucléaire conduit à des mesures de protection de la population sans commune mesure avec des accidents du charbon - mais extrêmement coûteuses pour les pays victimes d'accidents majeurs.


Dans votre nouveau livre, vous développez un point de vue original en établissant un lien entre la croissance économique et l'approvisionnement énergétique. Pourquoi?

Transformer le monde ou utiliser de l'énergie, c'est (par définition en physique) exactement la même chose. L'énergie a procuré à chaque Occidental la puissance mécanique de plusieurs milliers d'esclaves, capable d'exploiter les ressources de la planète à un prix ridiculement bas. La véritable cause de la hausse de notre pouvoir d'achat, c'est l'énergie à profusion.

Tout à fait d'accord avec JMJ sur ce point, et le plus étonnant est que ce point de vue paraisse révolutionnaire ! sauf que ... si on considère qu'il faut accepter de réduire la consommation de fossiles pour éviter la pollution de CO2 (point en lui même qui mériterait discussion, en tout cas sur le point exact où ça devient nécessaire), alors pourquoi la production d'énergie nucléaire deviendrait-elle , elle, indispensable et incontournable, quel que soit le risque associé ? la différence de traitement est étrange .... 

Peut-on y trouver une explication aux révoltes du Proche-Orient et du Maghreb?

Oui. Tout d'abord, 15 % de la production mondiale de céréales sont déjà utilisés pour faire des agrocarburants, en réponse à l'insuffisance de pétrole. C'est autant qu'on ne met pas sur le marché mondial, et c'est un scandale. Vient ensuite le pic caniculaire en Russie en 2010, cohérent avec ce qui est attendu du réchauffement global, qui a amené ce pays à supprimer ses exportations de céréales. Ces deux causes conjuguées ont contribué, en 2010, à doubler le prix de presque toutes les céréales.

Or, au Maghreb, la sécheresse s'étend (en cohérence avec un réchauffement global), obérant les résultats agricoles, sur un fond de forte progression démographique.

Alors là, on frise la malhonnêteté intellectuelle. D'abord, le nucléaire n'entre pas du tout en concurrence avec le pétrole, qui ne produit de l'électricité que dans des pays du Tiers monde qui seraient bien incapables de maintenir une énergie nucléaire. Dans les autres pays, il remplace surtout le charbon et le gaz, qui ne sont PAS (encore) en dépletion. Le nucléaire ne change RIEN à la dépletion pétrolière, et JMJ le sait naturellement parfaitement. 

Et pour finir ce panorama par une petite "taquienrie", contrairement à une idée en apparence sympathique défendue par des militants ignorants des ordres de grandeur, le grand compétiteur du nucléaire dans le monde n'est absolument pas l'éolien, mais le charbon. 

Eh oui, M. Jancovici, vous le savez, le concurrent du nucléaire est le charbon, pas l'éolien... ni le pétrole !!!

Alors on va dire, ben quand même, ça évite de brûler du charbon ! à un détail près .. la soif d'énergie est telle que le nucléaire n'empêchera pas de brûler EN PLUS du charbon ! et sur le fait d'associer un évènement exceptionnel comme la canicule en Russie au réchauffement climatique, d'une part c'est contestable d'un point de vue statistique, et d'autre part il est bien évident que le nucléaire n'a évité que quelques ppm de CO2 depuis le début de son utilisation et n'aurait jamais pu changer significativement ce risque. Encore une fois, une utilisation surprenante d'arguments affectifs non justifiés par des chiffres de la part de ce polytechnicien, qui se présente comme rationnel (et l'est souvent par ailleurs). Les problèmes de ressources alimentaire seront essentiellement des problèmes locaux de pression démographiques et de ressource en eau pour l'irrigation, et le nucléaire n'y changera strictement rien.

Alors, pourquoi y a-t-il tant de critiques climatosceptiques?

L'explosion du "climatoscepticisme", en 2010, est, selon moi, une conséquence de la crise économique. La mauvaise foi a servi d'argument à un refus inconscient de faire encore plus d'efforts que ceux déjà imposés par la crise. Scientifiquement, il n'y a rien de neuf : l'effet de serre est connu depuis un siècle et demi, et la variation globale de température provoquée par un doublement du CO2 dans l'air est calculée depuis un siècle. C'est la compréhension des risques et des efforts à faire qui est récente. Les médias n'insistent pas assez sur un chiffre : 5 degrés d'augmentation de la température planétaire, c'est un changement d'ère climatique. De l'ère glaciaire au climat actuel, il n'y a eu que 5 degrés de réchauffement global !

Je ferai d'autres posts plus détaillés sur les scénarios, mais disons le tout de suite : les 5 degrés sont le résultat de projections probablement irréalistes de ressources fossiles, qui sont en particulier totalement contradictoires avec une pénurie énergétique proche. Il est étonnant qu'à quelques lignes d'intervalle, JMJ jongle avec deux arguments parfaitement contradictoires. Pire, toutes les réserves de nucléaire conventionnel mondiales sont bien incapables d'éviter un réchauffement de 5 degrés si il arrivait, tout simplement parce que leur montant est très loin d'être équivalent à  la quantité de fossiles qu'il faudrait bruler pour l'atteindre ! autrement dit si la soif d'énergie du monde est telle qu'il a besoin de cette quantité de fossiles, alors le nucléaire conventionnel ne peut pas s'y substituer. Il faut passer à des surgénérateurs, mais en fait, à des milliers de surgénérateurs partout dans le monde, y compris des pays peu fiables techniquement et politiquement, pour une technique qui n'a encore jamais marché dans les puissances les plus industrielles du monde.... JMJ se garde d'insister sur ce point ! 

 

Je lance un défi à M. Jancovici, si il lui advient de lire ce blog : nous présenter un scénario quantitatif réaliste où l'absence de nucléaire conduirait à une catastrophe climatique, alors que sa présence l'éviterait. Je ne pense pas qu'il trouvera un seul scénario réaliste où c'est la présence ou l'absence de nucléaire qui ferait la différence entre les deux. 

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commentaires

R
<br /> Bonjour Gilles,<br /> <br /> <br /> "hum, produire des carburants de synthèse à partir du nucléaire revient à dire qu'on peut à un coût économique raisonnable transformer de la chaleur et de l'électricité en hydrocarbures. Mais le<br /> nucléaire ne fait que ça , apporter la chaleur et l'électricité , donc ça revient à dire qu'on a résolu le problème du stockage de l'électricité à un coût économique raisonnable"<br /> <br /> <br /> Oui on pourrait stocker de l'électricité avec un coup économique raisonable sous forme chimique. En même temps le  nucléaire peut produire beacoup de chaleur et d'électriité pour pas chère.<br /> Avez-vous des nouvelles à propos de cela ?<br /> <br /> <br />  <br />
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R
<br /> @ Gilles<br /> Tout à fait d'accord, le soleil est une solution, mais pour l'instant elle est beaucoup plus chère que le nuc et en plus il y a un problème de mobilisation de l'espace disponible pour cet usage,<br /> car si l'énergie solaire est abondante elle est aussi peu concentrée. Mais je ne serais pas opposé à faire du carburant synthétique avec du solaire, je suis même prêt à en payer le surcoût. Cela ne<br /> m'empêche pas de penser qu'on le fera d'abord avec du charbon malheureusement.<br /> <br /> <br />
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T
<br /> Le pétrole, le charbon, ne sont-ils pas des déchets de nos forêts et des cadavres qui flottent dans les océans? Alors brûlons les<br /> <br /> <br />
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R
<br /> Bonjour Gilles,<br /> On a des différences de point de vue pas très importantes mais qui peuvent se résumer ainsi :<br /> Je crois contrairement à toi<br /> - à la possibilité de produire des carburants de synthèse par voie thermo chimique en utilisant un maximum d'énergie nucléaire, ce qui rend cette énergie susbtituable aux énergies fossiles.<br /> - à l'amélioration des filiaires nucléaires, à la mise au point et au déploiement des surgénérateurs. Les nouvelles filiaires devant "incinérer" leurs propres déchets et ceux des générations<br /> précédentes.<br /> - à l'amélioration de la sécurité, comme processus continu aussi bien par des mesures techniques que par des mesures organisationnelles.<br /> <br /> Dans ces conditions je peux avoir pour objectif :<br /> <br /> - d'avoir un nucléaire qui ne produit pas de déchets<br /> - d'avoir un nucléaire qui est moins meurtrier que les autres sources d'énergie<br /> - de ne pas rajouter de carbone dans l'atmosphère et même de commencer à en retirer afin d'avoir un argument pour qu'on laisse le carbone résiduel là où il est.<br /> <br /> <br />
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C
<br /> <br /> hum, produire des carburants de synthèse à partir du nucléaire revient à dire qu'on peut à un coût économique raisonnable transformer de la chaleur et de l'électricité en hydrocarbures. Mais le<br /> nucléaire ne fait que ça , apporter la chaleur et l'électricité , donc ça revient à dire qu'on a résolu le problème du stockage de l'électricité à un coût économique raisonnable (eventuellement<br /> par la filière hydrogène-> pile à combustible). Mais si c'est le cas, je ne vois pas du tout pourquoi on s'embete avec le nucléaire, le solaire fournit tout autant chaleur et électricité sans<br /> aucun inconvénient du nucléaire, et l'intermittence n'est plus un problème avec le stockage. Si cette solution existe, alors c'est le solaire qu'il faut développer, pour une vraie société durable<br /> et sans déchets. Mais j'en doute ....<br /> <br /> <br /> <br />
R
<br /> Hum... On a peut être pas fini d'entendre parler de l'Iran, De l'Irack et de la péninsule Arabique.<br /> <br /> On fera du carburant de synthèse sans doute avec du charbon, je préfèrerais qu'on le fasse avec du nucléaire. Pourtant je suis comme Gilles, je crois que le réchauffement annoncé est exagéré par<br /> certains. Mais par principe je pense qu'on doit produire sans déchets et le CO2 est un déchet.Au final dans les simulation du club de Rome si on suppose tous les problèmes résolus par une bonne<br /> politique ce sont les déchets qui font s'écrouler la société. Il faut recycler les déchets du fossile, comme ceux du nucléaire.<br /> <br /> <br />
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C
<br /> <br /> Hum, le nucléaire ne produirait pas de déchets ??? <br /> <br /> <br /> et développer le nucléaire ne garantit nullement qu'on ne va pas EN PLUS brûler les fossiles, c'est ce qui se passe depuis le début en tout cas  ! <br /> <br /> <br /> <br />