Si malheureusement la plupart des lieux (virtuels) de discussions sur le climat tournent très vite au sectarisme, dans lequel l'argument le plus souvent employé est celui de "trollage" et où la censure sert d'argumentation, il existe fort heureusement un petit nombre qui ont le mérite et le courage de maintenir des lieux de débats francs et ouverts. Nous avons toujours dit que ce blog ne censurerait aucune contribution portant sur les sujets traités, qu'elle soit en accord ou en désaccord avec nous. Un autre blog ayant le mérite et le courage de maintenir un espace de discussion ouvert est celui de Meteor, http://www.climat-evolution.com, de tendance nettement plus "réchauffiste" mais sachant garder un oeil critique sur les différents discours, et acceptant des discussions contradictoires en réponse à ses posts. Une récente et passionnée a eu lieu (et se continue encore) en réponse au post sur l'échec (malheureusement prévisible ) de Doha, discussion que votre serviteur a largement contribué à alimenter. Elle m'a donné l'occasion de me reformuler clairement une contradiction essentielle dans le discours climatique, celle du coût réel de se passer des fossiles.
En effet, il existe deux versions totalement différentes de ce coût : soit se passer de fossiles demande des efforts substantiels et l'acceptation d'une vie bien plus sobre et frugale (ce qui, mesuré en terme de PIB, va certainement conduire à une décroissance nette, le "coût" pouvant alors être chiffré par la différence de PIB si l'on s'en passe, ou pas). Soit au contraire ce coût est marginal et tout à fait supportable, et ne devrait pas conduire à une variation substantielle du PIB.
Ces deux assertions sont manifestement contradictoires. Or, de façon très surprenante, elles sont tour à tour utilisées , implicitement ou explicitement, par les mêmes gens, suivant l'argument qui les arrange le plus !!
Redonnons quelques ordres de grandeur : les scénarios climatiques sont basés sur des hypothèses économiques et démographiques, qui recouvrent un grand nombre de possiblités potentielles. La quarantaine de scénarios du GIEC utilisés dans le SRES fournit des histoires très différentes, comme nous l'avons vu. Mais il y a un point commun : ils sont tous fondés sur l'hypothèse d'une croissance économique constante au cours du XXIe siècle, à des taux de l'ordre de 2,5 % par an en moyenne. Un taux de 2% par an en 100 ans donne finalement un facteur multiplicatif de (1,02)^100 = 6 . Si on suppose 3 %, on peut atteindre un facteur 14. Mettons donc que ces scénarios prévoient tous , invariablement, un facteur multiplicatif de l'ordre de 10 de la richesse mondiale.
En regard, il faut bien sûr mettre le coût des catastrophes climatiques que cette croissance est supposée engendrer. ce coût peut être réel, il ne peut pas être infini. En réalité l'hypothèse même d'une croissance continue suppose qu'aucun effondrement grave n'a pu avoir lieu, sinon ... il n'y aurait plus de croissance ! De quel ordre de grandeur est ce coût ?
Nous avons des exemples de ces estimations dans des publications dont le lien m'a été obligeamment fourni par un de mes contradicteurs préférés, hwkf (je dis préféré parce qu'il fournit obligeamment les liens permettant de le contredire ...)
http://www.diw.de/documents/publikationen/73/diw_01.c.43084.de/diw_wr_2005-12.pdf
Ce papier annonce des coûts climatiques de l'ordre de "20 trillions of US $ " en 2100. En anglais, je rappelle que 1 billion, c'est un milliard, et 1 trillion c'est 1000 milliards (la plupart des traductions journalistiques de ces chiffres sont fantaisistes). Nous avons donc une estimation de coûts de 20 000 milliards de $ en 2100.
Par comparaison, le PIB mondial actuel est de l'ordre de 60 000 milliards de $. Le coût annoncé pour 2100 serait donc d'1/3 du PIB mondial actuel, ce qui est énorme, mais il faut se rappeler qu'il y aurait une croissance entre 5 et 10, donc le PIB mondial futur serait plutot de 300 000 à 600 000 milliards de $/an (pour ceux qui n'y croient pas, rappelons quand même que sans croissance il n'y a pas de raison non plus d'augmenter les émissions de CO2 ...). Pour le scénario souvent considéré comme "typique", A1B (AIM , voir ici le rappel des principaux scénarios), le PIB atteindrait ainsi 530 mille milliards de $/an, soit une mutiplication par environ 9, en accord avec les chiffres précédents.
Le coût serait donc plutot de 4 à 8 % du PIB, mettons 5 % en ordre de grandeur (je ferai un petit commentaire en fin d'article sur la précision avec laquelle on peut estimer ces chiffres, mais je me contente pour le moment de les accepter sans discuter). Même si cela fait beaucoup, ça ne fait que réduire de 5 % une croissance globale d'un facteur 10 ! (c'est à dire : ne multiplier plus que par 9,5 au lieu de 10, typiquement). On n'est quand même pas exactement dans "l'effondrement" fantasmé dans les scénarios apocalyptiques !
Néanmoins, 5 % de moins, ça fait quand un même un peu mal, et si on pouvait s'en passer, tant mieux. C'est là que rentre donc la solution miracle : il n'y a qu'à faire la même chose, mais sans fossile ! Certes, très bonne idée, à laquelle tout le monde ne peut que souscrire. Après tout, les fossiles, c'est sale, ça pollue (et pas seulement le CO2) et ça va s'épuiser, donc si on peut s'en passer, aucun problème, faisons le !!
Aucun problème ... à condition de pouvoir VRAIMENT s'en passer sans grosses conséquences. Parce que si se passer de fossiles conduisait à réduire par un facteur 2 ou 3 la richesse produite, on serait en train de dire que pour éviter 5 % de pertes climatiques, il faut accepter 50 à 70 % de richesses en moins ? euh, là, ça parait franchement idiot : on a tout interêt à garder notre facteur 10 et avec la richesse produite, on aurait surement largement de quoi surélever les Maldives de plusieurs mètres ou accueillir les habitants dans une contrée plus hospitalière, construire des digues efficaces contre les ouragans, mais rester 10 fois plus riches quand même.
L'argument qu'il faille se passer des fossiles ne peut tenir que si les coûts estimés de leur remplacement sont bien inférieurs au coût climatique, donc bien moins de 5 %. C'est précisément ce que dit l'article en lien : il estime que le coût des mesures à prendre pour réduire très significativement la part de fossiles pour maintenir le réchauffement à 2°C serait d'environ 430 milliards de $ en 2050 et 3000 milliards de $ en 2100, soit 10 fois moins que le coût climatique. Là évidemment, ça ne fait pas un pli. Si on peut éviter 30 000 milliards de dégâts avec un investissement de 3000 milliards, il n'y a pas à hésiter ! Notons quand même qu'on n'est pas vraiment en train de parler d'éviter un effondrement. Avec ces chiffres, on est en train typiquement de dire "on peut encore gratter 5 % en assurant une croissance d'un facteur 9,9 au lieu de 9,5, en faisant la croissance sans fossiles ". La différence entre multiplier par 9,5 et multiplier par 9,9 n'est pas tout de même pas la différence entre un effondrement et une situation paradisiaque....
Mais minute là ... ce qu'on est en train de dire ... c'est que ... on peut pratiquement se passer de fossile avec un coût absolument ridicule de 0,5 % du PIB ? mais les histoires de peak oil, de ressources limitées, de frugalité, de jardins bio, de prendre son vélo, tout ça ... si on est 15 fois plus riche sans fossile, il n'y aurait pas à se priver du tout, on continue encore la fête mais avec d'autres énergies ! euh au fait tiens ...mais lesquelles ... ?
la réponse est dans l'article : la solution, le nouveau mix énergétique ! c'est un graphique tiré d'une prospective du "German Advisory Council on global change"
Dans cette prospective , on voit que c'est le solaire qui fait tout ! miracle ! en 2100 , on produirait 1000 exajoules (environ 20 Gtep) de solaire soit plus de 2 fois la production totale d'énergie fossile actuelle, et ceci pour un coût absolument ridicule de 0,5 % du PIB. Ca veut dire qu'on sait tout faire avec du solaire, de l'électricité stable, des véhicules, voitures, avions, bateaux, se chauffer, on ne sait même pas pourquoi on a encore besoin de fossiles en 2100 après tout, pourquoi pas 100 % de solaire ?
Mais c'est merveilleux tout ça ! mais si c'est vrai, ça veut dire aussi que tout ce qu'on nous raconte sur l'épuisement des fossiles, les efforts à faire, le fait d'en garder pour plus tard, ça n'a plus aucun sens. Si on a l'énergie de remplacement toute prête, on s'en fiche de les gaspiller, on n'en aura plus besoin de toutes façons. Sur le graphique ci dessus, la consommation totale de fossiles doit à peine excéder celle des réserves prouvées, même si la répartition entre fossiles ne correspond pas du tout à leur montant respectif (trop de pétrole et surtout de gaz par rapport aux réserves, et moins de charbon). Mais bon c'est un détail on peut les répartir différemment. Et comme on sera bien plus riche on n'aura pas non plus de peine à gratter un peu de non-conventionnel Rappelons que les scénarios "avec fossiles" en consomment bien plus, donc il en restera plein de réserves si on en a encore un peu besoin, largement plus en tout cas que les besoins - il n'y a donc aucun problème de pénurie en vue, aucune limite à la croissance due aux réserves finies de fossiles. On arrêtera juste de les consommer parce qu'on a trouvé mieux, c'est tout.
Cette vision idyllique, si elle est vraie, invalide donc totalement l'idée que le monde industriel serait menacé par la pénurie d'énergie. Si on peut vraiment développer autant les renouvelables, alors il n'y a pas de problèmes de ressources énergétiques, ni d'arrêt de la croissance prévisible. Rappelons que globalement ça ressemble aux scénarios avec fossiles, à part qu'on remplace les fossiles par le solaire, et qu'on "gagne" donc quelques % du PIB de catastrophes climatiques en moins. Voilà l'essentiel du discours climatique actuel : nous vous assurons de toutes façons une croissance d'un facteur d'environ 10 dans ce siècle, et il vaut mieux le faire sans fossile pour éviter quelques % de coût climatique, mais ne vous inquiétez pas, le remplacement peut se faire sans problème (en gros comme un installateur de chaudière vous promet de vous installer une chaudière moderne plus efficace en remplacement de votre vieux chauffage, avec une baisse de votre coût global et une rentabilisation de votre investissement, et moins de pollution).
Si tout cela est vrai, franchement, c'est le rêve. Qui peut refuser une solution aussi simple et satisfaisante ? en fait on ne comprend même pas pourquoi on se bat sur le climat, qui peut etre contre poursuivre la croissance de façon propre et à un coût minime, à moins d'être complètement masochiste ou détester l'humanité ? toute la querelle autour du remplacement des fossiles devient absurde, si il est vrai qu'on peut les remplacer à ce coût ridicule. Personne n'a aucun interêt à ne pas le faire, surtout qu'on peut attendre 2030 comme le montre ce graphique, on a encore du temps.
Bon, redevenons sérieux. Franchement, qu'est ce qui assure la crédibilité d'un tel scénario ? On sait très bien que le solaire a des applications extrêmement limitées et a un coût élevé, et ne peut servir que d'appoint totalement marginal. Il n'apparait même pas dans l'épaisseur du trait des statistiques énergétiques actuelles. Si les technologies pour remplacer massivement les fossiles par le solaire existent dès maintenant, alors pourquoi ne pas le faire tout de suite ? pourquoi les chinois ne se développent-ils pas au solaire plutot qu'au charbon? pourquoi les islandais qui débordent d'énergie renouvelable (et n'ont d'ailleurs nullement besoin de solaire, leur combinaison hydraulique/geothermie est bien plus stable et maniable), consomment encore autant de fossiles ?
D'un autre côté, si ces technologies n'existent pas encore, comment tabler sur le fait qu'elles existeront en 2030 ou en 2100 ? qui l'assure, sous quelle base? et surtout comment peut-on chiffrer avec une telle précision un coût qui serait devenu aussi faible ? sur quelle base peut-on estimer à 430 milliards de $ en 2030 une technologie inconnue ? nous sommes ici en pleine science fiction. Les scénarios présentés ici sont juste des "toy models" (modèles jouets) programmés sur ordinateur avec des paramètres pifométriques (on va dire qu'on va savoir utiliser le solaire/l'hydrogène/la fusion thermonucléaire - ah non tiens pas de fusion thermonucléaire en 2100, pourquoi? mystère ..) et que ça va coûter tant et puis on va calculer notre monde virtuel avec ...
J'avais promis un petit commentaire sur la précision de tous ces chiffres; relisez depuis le début l'article et demandez vous, à chaque fois que vous lisez un chiffre concernant l'année 2100 : mais au fait, quelle précision a-t-on sur ces valeurs? avec quelle précision peut-on estimer le PIB, le coût climatique, le coût du remplacement des fossiles ?
un peu de jugeotte devrait vous convaincre qu'il y a des incertitudes énormes sur toutes ces valeurs.
Evidemment que personne n'est capable d'affirmer que la croissance durera jusqu'en 2100, et ne connait le taux de croissance moyen.
Evidemment que personne n'est capable de prévoir le climat en 2100 (ne serait ce que par l'incertitude sur le montant des réserves et la sensibilité climatique), et encore moins leur coût puisqu'on a aucune idée des techniques disponibles, de l'adaptation de l'humanité aux changements sociaux et climatiques, et même de sa richesse globale, puisque les coûts des catastrophes dépend aussi beaucoup de la richesse de la population !!
Evidemment que personne n'est capable de chiffrer le coût d'un remplacement d'un système énergétique par un autre, avec des technologies futures qu'on ignore !!!
Un monde 10 fois plus riche, basé sur des technologies totalement différentes, ne pourrait aucunement être comparable au nôtre, et un chiffrage à 100 ans d'intervalle n'a aucun sens, surtout avec 2 ou 3 chiffres significatifs comme dans l'article cité !!
La réalité, c'est bonnement que personne ne sait faire ce remplacement à coût quasi nul actuellement, et que tout scénario le prévoyant est juste de la science fiction. Mais l'autre réalité, c'est que SI il s'avère que le coût de se passer de fossiles n'est nullement négligeable (comme c'est le cas actuellement), et que la société industrielle en est vraiment dépendante, ce qui est beaucoup plus cohérent avec les discours demandant des efforts substantiels sur le niveau de vie pour vivre de façon plus "écologique", ALORS le coût de se passer de fossile serait probablement BIEN SUPERIEUR au coût de quelques % des conséquences climatiques. Autrement dit, si vous croyez aux scénarios dorés décrits ci-dessus, alors vous n'avez pas à vous inquiéter de l'épuisement des ressources énergétiques (et finalement climat ou pas nous sommes assurés d'être bien plus riches en 2100 que maintenant). Et si vous n'y croyez pas, alors l'épuisement des ressources énergétiques causera des dégâts à la société bien supérieurs à ceux du climat, qui rappelons le, ne feraient que quelques % de moins sur une croissance globale d'environ 10.
Dans AUCUN des cas décrits, la lutte contre le climat ne permettrait d'éviter une catastrophe pour garantir une société heureuse : dans le premier cas, il n'y a jamais de catastrophe parce que l'accroissement de richesse l'emporterait toujours largement sur le coût climatique - et de plus il est facile de l'éviter, le gain de se passer de fossiles ne fait qu'accroitre un peu plus la richesse. Dans le deuxième cas, il n'y a pas de possibilité d'éviter une décroissance douloureuse parce qu'on ne sait pas remplacer les fossiles. Faites votre choix entre ces deux prédictions, qui sont contradictoires, parce qu'il n'y a pas de troisieme cas cohérent logiquement. Le mien est fait.