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14 novembre 2012 3 14 /11 /novembre /2012 17:02

Posée comme ceci, la question amène une réponse évidente : évidemment que oui, étant donné que des milliards d'hommes l'ont fait ! 

La vraie question est plutôt : peut-on conserver un niveau de vie comparable au nôtre sans pétrole ? Et là, la réponse est bien moins évidente.

Dans le cadre de la réflexion sur la transition énergétique, un rapport de l'ADEME est en préparation, dont un résumé a été rendu public et peut être consulté ici. Dans cette exercice de prospective, l'ADEME présente un scénario où en 2030, on pourrait atteindre une baisse de 20 % de la consommation énergétique en France, grâce essentiellement à un gros effort sur le logement en améliorant considérablement l'isolation, pour baisser les besoins en chauffage.

conso2030.png

Puis à l'horizon 2050, on pourrait atteindre 50 % d'économies, grâce à des efforts sur les transports, essentiellement par le développement de l'autopartage, l'introduction de véhicules électriques et hybrides, l'emploi plus grand de transports en commun et la généralisation du télétravail. La France aurait même la capacité de se passer totalement de pétrole en 2050 grâce au développement de la méthanisation permettant de faire fonctionner des véhicules au biogaz, neutre en CO2. Dans le scénario, le taux de croissance économique reste soutenu à 1,8 % /an, et donc on pourrait aboutir finalement à une multiplication par un facteur 2 du PIB tout en réduisant par 4 la production de CO2 (soit une réduction par un facteur 8 de l'intensité carbonée en 40 ans). Ce scénario est proche de celui présenté par l'association Negawatt, qui obtient aussi une réduction substantielle de la consommation énergétique et du CO2 par des efforts sur la consommation de l'habitat et des changements de comportements sur les transports.

transports

Dis comme cela, cette perspective fait rêver. Ainsi, les solutions aux problèmes énergétiques sont à notre porte, il suffirait de quelques efforts d'adaptation pour y arriver ? 

Ce scénario est-il vraiment crédible? j'ai pu discuter avec un de ses auteurs, que j'ai le plaisir de connaître, et j'avoue rester quelque peu dubitatif. Il y a en effet un certain nombre de contradictions qui m'apparaissent dans ce scénario. Techniquement, les solutions ont été soigneusement étudiées et sont crédibles. Le problème essentiel que j'y vois est le couplage aux contraintes économiques. D'abord, la croissance de 1,8 % par an est donnée comme une contrainte macroéconomique globale, imposée par le cadrage ministériel. Comme les scénarios du GIEC, cette contrainte est incontournable. Politiquement, un gouvernement ne peut pas faire une autre hypothèse que la croissance. Il est donc impossible d'étudier même la possibilité que ce ne soit pas le cas, puisque ce n'est pas une option.

Le problème, c'est que le scénario prévoit à la fois un enrichissement de la population (qui serait en gros deux fois plus riche que maintenant), et une restriction de ses consommations : les gens feraient plus d'effort pour partager leur voiture, renonceraient aux voitures à pétrole pour des engins moins commode (gaz ou électriques). L'argument est que le pétrole serait alors très cher (le scénario table sur un prix de 134 $ en 2030 et 230 $ le baril en 2050 suivant les projections de l'AIE).

Le problème c'est que les scénarios de l'AIE ont été établis en supposant une demande soutenue en pétrole, le prix élevé étant alors nécessaire pour rendre des gisements rentables, alors qu'ils ne l'étaient pas avant. Mais le scénario prévoit exactement le contraire , qu'on ne ferait plus appel au pétrole. Alors certes c'est un scénario français et pas mondial, mais on ne voit pas très bien pourquoi seuls les Français se mettraient à modifier toutes leurs consommations à contre courant du reste du monde. Logiquement donc, si la demande de pétrole baisse, le prix d'équilibre offre demande devrait baisser aussi et le pétrole ne serait plus si cher que cela, pas plus que maintenat comme le montre les différentes courbes de l'AIE (je dois préciser qu'il faut avoir une confiance très relative dans ces courbes, l'AIE ayant prouvé de nombreuses fois son incapacité totale à faire des prévisions fiables même sur le moyen terme). 

http://1.bp.blogspot.com/_xlGBqqM0muE/TOCeSKQbQPI/AAAAAAAAFJc/jJgwCTCSnc0/s1600/Screen+shot+2010-11-14+at+8.41.16+PM.png

Différents scénarios de prix suivant la demande (source : World Energy Outlook 2010, AIE).

L'avantage de s'en passer ne serait alors plus aussi évident, d'autant que ne l'oublions pas, la richesse globale est censée avoir beaucoup augmenté. Notons que même avec le scénario dépletionniste des réserves prouvées, il resterait quand même une production notable de pétrole en 2050. Le scénario ne s'occupe d'ailleurs que du pétrole consommé dans les transports intérieurs, mais pas à l'échelle internationale ni dans les transports aériens. Cela suppose donc qu'une certaine quantité de pétrole reste disponible à un coût raisonnable, et du coup, personne ne demande à s'en passer complètement. 

Un deuxième problème est que si les gens baissent leurs consommations d'une manière générale, on ne voit plus trop d'où viendrait la croissance : la croissance, c'est quand même la richesse et donc la consommation des gens. Si ils achètent moins de voiture, évitent de partir en voyage, sont plus raisonnables dans leur consommation de viande, que feront -ils de leur doublement de salaire ?  si les gens veulent de la croissance, c'est pour gagner plus d'argent, et donc pour plus consommer ! sinon, à quoi sert -elle ?

Un troisième problème lié au précédent est que le scénario ne se préoccupe pas de l'impact économique du coût de ces mesures. Isoler sa maison, par exemple, ça peut coûter assez cher. Qui va le payer? les particuliers? l'état? dans tous les cas, la somme consacrée à l'isolation sera retirée d'autres consommations, et donc baissera mécaniquement l'activité du pays.  

 

En résumé le scénario décrit une situation possible techniquement, mais improbable économiquement. Pour que le PIB continue à augmenter, il faudrait changer fortement son contenu énergétique, c'est à dire dépenser de plus en plus d'argent à des activités peu coûteuses en énergie tout en renonçant à celles plus coûteuses. Pour caricaturer, il faudrait que les gens de 2050 acceptent de payer très cher des jeux videos en acceptant de faire un effort pour ne plus avoir de voiture et partager avec celle du voisin. Ce n'est pas matériellement impossible (après tout la valeur que nous accordons aux choses est essentiellement subjective et peut changer !), mais c'est pour moi humainement improbable. 

Il est donc pour moi peu probable qu'on puisse allier logiquement baisse de la consommation et croissance économique. Et il est également improbable que ces baisses de consommations (qui sont à mon avis inévitables de toutes façons) se fassent volontairement parce que les gens décident que leur argent ne doit pas servir à avoir une voiture individuelle, une maison plus grande, etc ... Ceci dit bien évidemment des gains d'intensité énergétique (en particulier sur les logements ) sont possibles et souhaitables. Mais ils risquent d'être annihilés au niveau mondial par l'appétit des pays en développement qui font pression sur les ressources, et conduiront de toutes façons à des crises économiques, la décroissance de l'Occident se faisant sous cette pression. Ce n'est malheureusement pas le fait d'isoler son logement ou de partager sa voiture qui fait retrouver un emploi bien payé : c'est au mieux, une adaptation par force à des contraintes économiques. 

Inversement, les hypothèses énergétiques retenues dans le scénario (division par 4 des émissions de CO2 et suppression de la demande pétrolière) me paraissent inutilement sévères par rapport au panorama mondial : je pense donc très improbable que ce scénario se réalise. Cela demanderait, comme nous l'avons dit, une réduction par 4 de l'intensité énergétique  Bien plus probablement, la consommation d'hydrocarbures restera supérieure à ce que prévoit l'ADEME, mais la richesse sera inférieure et la croissance ne sera plus là. C'est évidemment dans ce dernier point que résident les vraies problèmes, puisque comme on le voit actuellement, l'absence de croissance signifie concrètement des difficultés économiques de tout ordre, des arbitrages à faire, et des restrictions inévitables sur la population (mais encore une fois, ces restrictions sont la seule possibilité réaliste de faire baisser la consommation selon moi). En oubliant le volet économique (mais ce n'est pas son travail, pas plus que celui du GIEC), l'ADEME manque le principal message qu'il faudrait faire passer aux politiques : c'est que la situation de croissance économique continue à de grandes chances (ou de grands risques) de se terminer prochainement, et elle est d'ailleurs peut être déjà terminée, et qu'il faudra de toutes façons affronter les conséquences sociales de ces crises - les préoccupations du "zéro carbone" devenant alors secondaires, dans ce contexte.     

 

 

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6 novembre 2012 2 06 /11 /novembre /2012 16:01

Une amie médecin me demandait il y a quelques jours, à propos d'un proche ayant subi (avec succès) une opération de la cataracte : "Est ce que tu crois que ce genre d'opération ne va plus être possible quand il n'y aura plus de pétrole ?"

Ma réponse a été : ce n'est pas une question de ce que ça coûte en énergie. Evidemment on aura encore pendant très longtemps la possibilité technique de réaliser ces opérations. Mais le problème n'est pas là. Il est dans le fait que les pénuries énergétiques provoqueront des crises économiques, et que les gens auront simplement moins d'argent pour se faire soigner.

L'actualité m'a malheureusement fourni une illustration flagrante de ce problème. La firme pharmaceutique Merck a annoncé récemment qu'elle suspendait la fourniture de son médicament anticancéreux très utilisé dans le monde, l'Erbitux, aux hopitaux grecs, pour cause d'impayés. L'article de l'Humanité rappelle qu'une loi récemment passé en Grèce fait perdre le bénéfice de la sécurité sociale après un an de chomage. Un reportage du New York times évoque le cas terrible d'une femme sans emploi, qui avait une tumeur diagnostiquée depuis un an, mais qui faute d'être soignée, l'avait laissé grossir à la taille d'une orange, provoquant une plaie béante qu'elle épongeait avec des mouchoirs en papier.

Evidemment, on ne peut que déplorer l'application brutale des lois du marché à la santé publique, mais le système mondial est ainsi fait que les pauvres ont bien sûr bien moins accès aux soins que les riches. L'effet d'une crise économique se traduit immédiatement par des difficultés accrues de tout genre, y compris dans la possibilité de se soigner. On retrouve ici en miroir négatif la question que je posais sur mon précédent billet , sur les conséquences d'une crise climatique. Les crises énergétiques, si il se confirme qu'elles deviendront la règle dans les décennies qui viennent, auront un effet bien plus rapide, plus dévastateur, et plus implacable sur la vie des gens.

Le problème du discours climatique est qu'il a été bâti sur une hypothèse initiale, celle d'un monde en croissance continue au XXIe siècle, sans interruption de la création continuelle de richesse, mais en s'intéressant à des conséquences secondaires de cette création de richesse. Il faudrait réaliser que la situation réelle n'est pas du tout celle-là. Le peu de croissance résiduelle qui reste possible fera l'objet d'une lutte féroce pour s'accaparer le faible supplément de ressources énergétiques que nous pouvons encore exploiter, avant leur décroissance inéluctable. Le rééquilibrage (qui en soit est normal) entre pays pauvres en croissance et l'Occident se traduira forcément par une baisse nette de niveau de vie de celui-ci, simplement parce que le monde est devenu  trop petit pour assurer à tout le monde notre richesse actuelle. Il devient urgent de réaliser que ce problème n'est pas conjoncturel et ne sera pas résolu par des mesures financières ou politiques, il s'inscrit dans une logique profonde et implacable de l'histoire, à laquelle nous serons tous soumis. Même si les hommes politiques passent leur temps à nous promettre des recettes miracles pour sortir de la crise, ces promesses n'engageront que ceux qui y croient - et les désillusions récentes de tous les dirigeants ayant promis à leurs électeurs des mesures efficaces pour sortir de la crise, en provoquant immanquablement déception et rancoeur de ne pas y être parvenus (faut-il vraiment citer des noms ?) , doivent nous servir de leçon. Il faut dès maintenant réfléchir aux mesures de solidarité indispensables pour préserver les plus pauvres, qui seront comme toujours les premières victimes de ces crises. 

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22 octobre 2012 1 22 /10 /octobre /2012 16:58

Ce week end, j'ai lu une nouvelle à la fois drôle et triste. Là voilà .  (Le blog original en anglais annonçant la nouvelle est ici ) Pour la première fois (en tout cas la première fois répertoriée), un article scientifique a été accepté dans un journal de mathématiques (peu connu il est vrai), certes "sous réserves de modifications". Le problème est que cet article a été composé par un générateur de texte aléatoire et ne contenait absolument rien qui ait la moindre signification mathématique. Les références ont été aussi engendrées aléatoirement à partir de mathématiciens connus ... dont beaucoup sont morts depuis bien longtemps ! 

Les anglicistes pourront lire le texte de l'article sur ce lien. Même sans être mathématicien, il paraît assez clair que le texte n'est qu'une suite de phrases et de formules sans aucun lien logique ....

Les commentaires du référé et les réponses à ces commentaires sont assez savoureux. 

Exemples 

"Anyway, the manuscript has some flaws are required to be revised :

(1) For the abstract, I consider that the author can’t introduce the main idea and work of this topic specifically. We can’t catch the main thought from this abstract. So I suggest that the author can reorganize the descriptions and give the keywords of this paper."

 

"Le manuscrit a cependant quelques défauts qui demandent à être revus :

(1) pour l'abstract, je considère que l'auteur ne peut pas introduire spécifiquement l'idée principale et le travail sur le sujet [sic ?]. Nous ne pouvons pas saisir l'idée principale à partir de cet abstract. Je suggère donc que l'auteur réorganise ses descriptions et donne les mots-clés de son article"

Réponse de l'auteur :

The referee’s objection is well taken; indeed, the abstract has not the slightest thing to do with the content of the paper.

"L' objection du référé est bien vue. Effectivement l'abstract n'a strictement rien à voir avec le contenu du papier " (NB bien sûr les deux ont été engendrés aléatoirement !!) 

2e remarque

(2) In this paper, we may find that there are so many mathematical expressions and notations. But the author doesn’t give any introduction for them. I consider that for these new expressions and notations, the author can indicate the factual meanings of them.

(2) Dans ce papier, on peut trouver qu'il y a beaucoup d'expressions mathématiques et de notations. Mais l'auteur ne donne aucune introduction pour elles. Je considère que pour ces nouvelles expressions et notations, l'auteur peut indiquer leur signification factuelle.

 

Réponse :

The paper certainly does contain a plethora of mathematical notation, but it is to be hoped that readers with the appropriate background can infer its meaning (or lack thereof) from context.

"Le papier contient certainement une pléthore de notations mathématiques, mais on peut espérer que le lecteur muni d'un bagage suffisant peut déduire leur signification (ou le manque total de celle-ci) à partir du contexte ..."

Etc, etc... on imagine l'hilarité de l'auteur répondant au référé.

Bon, c'est comique , mais c'est un peu triste. D'autant que le journal faisant payer les droits d'édition, la publication serait l'occasion pour le journal de recevoir la somme coquette de 500 € ... une raison qui a paru suffisante à l'auteur pour ne pas chercher à "améliorer" son texte en renvoyant une version convenable pour le référé ! 

Moins franchement caricatural, mais peut être tout aussi préoccupant, a été la publication d'une étude très médiatisée "démontrant" l'action d'un maîs génétiquement modifié NK603 (et de l'herbicide "Round Up" associé contre lequel le maïs OGM a été rendu résistant) sur le développement des tumeurs chez les rats, par le Professeur Gilles-Eric Seralini. L'affaire a bien sûr connu un retentissement médiatique important, mais l'étude a soulevé immédiatement de très vives suspicions et même une critique publique des Académies Scientifiques, en particulier à cause du nombre très faible de rats ayant servi de témoin. 

http://sciences.blogs.liberation.fr/.a/6a00e5500b4a648833017c327022df970b-320pi

A titre personnel, je partage tout à fait les critiques sur la faible valeur statistique de l'étude. Mais cela pose une question de fond : comment et pourquoi un tel article a pu franchir le cap d'une publication à référé ? pourquoi et comment a-t-il pu faire l'objet d'une campagne médiatique aussi bien orchestrée au moment de sa publication (et accessoirement de la sortie d'un livre écrit par le même auteur en librairie ... ?)

D'autres signaux d'un laxisme croissant dans les publications peuvent être trouvés dans cette nouvelle également reportée dans le blog de Sylvestre Huet : l'augmentation statistiquement significative (elle !) du nombre de cas de fraude et de plagiat dans le publications dans le domaine des Sciences de la Vie. 

http://sciences.blogs.liberation.fr/.a/6a00e5500b4a648833017ee3e97931970d-pi

Comment "lire" ses informations ? les cas de fraude scientifique ne sont pas nouveaux, mais on voit très clairement qu'ils apparaissent quand des interêts financiers et/ou idéologiques sont en jeu. Le monde scientifique est un monde d'humains, gouverné par des passions humaines. Malheureusement, l'évolution de la Science vers une activité "de masse" a mis aussi en branle un certain nombre d'interêts financiers, à la fois dans les conséquences économiques des découvertes et dans le "marché" des publications. De plus, les procédures actuelles d'évaluation des chercheurs donnent une place grandissante à l'évaluation "quantitative" , à la fois en taux de publications et en taux de citation (mesuré par le fameux "h-index", qui est défini comme le rang de l'article dans un classement par nombre de citations décroissant, tel que son no de rang est égal à son nombre de citations). Mais  l'évaluation se fait de moins en moins, voire plus du tout, sur le contenu  réel. Après tout qui connait le nombre d'articles publiés par des grands physiciens, Einstein, Bohr, Feynmann et qui s'en préoccupe ? Or il est bien connu par exemple qu'un article médiatisé mais comportant des erreurs, voire carrément faux, va être beaucoup cité ... pour démontrer ses erreurs ! 

La leçon de tout cela, c'est qu'il faut toujours garder une solide distance par rapport à l'argument que "les scientifiques ont toujours raison", ou même que "les publications à référé ont toujours raison". Cela ne signifie pas à l'inverse que tout est faux et que le monde scientifique est globalement pourri, bien évidemment. La science fait constamment la preuve de son efficacité, après tout si vous vous servez quotidiennement de GPS et de lecteurs MP3, c'est que les scientifiques ne disent pas que des bêtises. Mais la leçon, c'est la confirmation que "l'argument d'autorité" n'a pas de valeur. Il y a plusieurs cas de dérives collectives de scientifiques plongés dans un contexte politique et idéologique particulier (comme les scientifiques sous l'Allemagne Nazie , pardon pour le "point Godwin", ou l'affaire Lyssenko dans l'ex URSS, baptisée "la plus grande aberration rencontrée dans l'histoire des sciences de tous les temps").  Ce qui compte, c'est la critique scientifique raisonnée. Tout le monde n'est naturellement pas capable de tenir une discussion scientifique serrée,  qui demande parfois un socle de connaissances assez solides. Mais ceux qui n'en sont pas capables devraient se méfier de l'argument "moi j'y crois parce qu'on m'a dit que c'était vrai", et se rappeler à quelles aberrations ont pu conduire cette attitude ...

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27 août 2012 1 27 /08 /août /2012 08:31

Ce genre de nouvelles en dit plus sur la situation que 10 rapports du FMI ou les scénarios du SRES ...

http://fr.news.yahoo.com/unilever-prépare-au-retour-pauvreté-europe-060248054.html

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20 août 2012 1 20 /08 /août /2012 13:33

Bien qu'elle soit rarement posée comme cela, c'est probablement la question qui devrait être primordiale dans les discussions climatiques. J'ai déjà eu l'occasion de souligner que la plupart des efforts que l'on préconisait pour "limiter le CO2" n'avait en réalité aucune action réelle, si ils ne s'accompagnaient pas d'une limitation forcée (par l'interdiction pure et simple d'utiliser les fossiles) de la quantité ultime consommée. En effet, limiter la consommation signifie en général "seulement " limiter la consommation par unité de service : par exemple préconiser l'usage des voitures hybrides qui émettent "moins de CO2" par km ; sauf que personne ne dit 

* si on doit limiter le nombre de voitures (au niveau mondial , il y a environ 1 voiture pour 7 êtres humains, alors que c'est plutôt une pour 3 en Europe et une pour deux aux USA : doit-on décider d'interdire aux chinois ou aux indiens de s'offrir des voitures pour se les garder pour nous ? ou doit-on autoritairement diviser par 2 le nombre de voitures en France, et comment et à qui les réserve-t-on ?). On ne dit d'ailleurs pas non plus si on doit limiter le nombre de km ...

* et surtout, combien de temps on va utiliser des voitures. Evidemment on peut toujours espérer qu'on fera rouler des voitures à autre chose que des fossiles, mais ce n'est nullement garanti. Autrement dit, être économe maintenant n'assure pas du tout qu'on soit sûr de limiter la quantité totale de fossiles extraite dans le futur. On ne fera peut être que les laisser à nos descendants. Si c'est vraiment un danger mortel que nous courrons, alors il faudrait s'assurer de moyens un peu plus contraignants....

Bref la seule solution efficace à 100 % serait de limiter autoritairement l'accès aux fossiles. Mais de combien? quelle est la quantité à laquelle vous avons droit au juste ?

Vous trouverez une réponse "magique" sur certains sites. Cette quantité serait de ...

565 Gt (milliards de tonnes ) de CO2 d'ici 2050,

correspondant à environ 150 Gt de carbone (la formule chimique du CO2 implique qu'il y a 44g de CO2 pour 12 g de carbone). Le contenu énergétique est un peu délicat à évaluer car cela dépend de la composition en hydrocarbures, le gaz naturel produisant plus d'énergie que le pétrole, qui lui même en produit plus que le charbon, mais en gros cela correspond à 1 Gtep pour 3 Gt CO2 soit environ 200 Gtep, en arrondissant.

En ordre de grandeur, cela correspond à 20 ans de consommation mondiale actuelle, à raison de 10 Gtep/an, mais 2050, c'est dans 40 ans ..

Oups, 20 ans, c'est pas beaucoup : si on veut entrer dans les clous, soit on continue à émettre la même chose pendant 20 ans et après on ferme le rideau, fini, basta, plus de fossile. Le sevrage risque d'être délicat .... Ou alors on prévoit une décroissance progressive dès maintenant, et le plus "doux" est de programmer une descente à taux constant par an, ce qui correspond à une courbe décroissant exponentiellement (nous retrouvons notre vieille amie l'exponentielle) , à un taux constant de 1/20 = - 5 % /an. Avec une exponentielle décroissante à - 5 %/an, la production totale décroîtrait régulièrement vers zéro avec une quantité ultime finie correspondant à 20 fois la production actuelle.

- 5 % /an, ce n'est pas rien, sachant que la crise économique de 2008 n'a produit une baisse des émissions mondiales  de CO2 "que" de - 2,5 % . Il faudrait manifestement soit accepter une décroissance économique rude, soit trouver un miracle énergétique permettant de remplacer 5 % de fossiles par an sans perte d'efficacité économique. Pour ceux qui n'ont pas tous les chiffres en tête, je rappelle que les énergies renouvelables type solaire et éolien ne représentent toujours que 1 % de la production énergétique, et ce malgré un développement de plusieurs décennies ! elles n'ont donc remplacé "que" moins de 0,1 % par an de la production de fossiles, 50 fois moins que le but qu'on se fixe là. 

 

Inutile de dire que c'est pas gagné ....Mais au fait, d'où sortent donc des 565 Gt ?

Voilà un lien obligeamment fourni par notre ami Robert sur un autre forum, qui explique comment on calcule ça.

Première chose : on ne veut pas dépasser 2°C.

Ah bon ok, pourquoi ? en fait personne ne sait très bien. Déjà 2°C par rapport à quoi au juste ? l'ère préindustrielle ? mais il y a déjà eu des variations aussi avant, donc que prend-on comme référence ? le petit âge glaciaire ? l'optimum médiéval ou romain? même si les variations n'étaient pas énormes, ça atteignait quand même plus ou moins 0.5 °C, donc les 2°C ne doivent pas être plus "précis" que +/- 0,5 °C. Ce n'est pas innocent comme nous allons le voir..

ensuite pourquoi 2 et pas 2,5 ou 3 °C ? d'après ce que j'ai pu comprendre, c'est "à la louche" la température maximale constatée dans les enregistrement paléoclimatiques, comme celui de Vostok remontant à 800 000 ans, par rapport à l'actuelle. 

800px-Vostok Petit data

On voit que par rapport au "zéro" moderne (à gauche, l'axe des temps étant inversé), les pics précédents n'ont pas excédé "environ" 2°C, mais bon un peu plus quand même. L'argument (si j'ai bien compris ) étant : bon on sait que 2°C de plus ne provoque pas d'emballement climatique donc c'est prudent de rester en dessous de 2°C. 

Evidemment la valeur est un peu pifométrique, d'une part parce que ce n'est pas parce que les variations naturelles n'ont pas excédé 2°C dans les 800 000 dernières années que ça signifie que ça serait catastrophique de les dépasser, et ensuite parce que les 2°C sont eux même assez imprécis, y compris dans le "zéro" moderne qui est assez bruité. Il parait que les enregistrements au sommet du Groenland d'il y a 10 000 ans ne sont pas forcément représentatifs de la température moyenne mondiale, que dire alors de ceux d'il y a 800 000 ans dans l'Antarctique .. 

Il apparait donc que ces 2°C sont juste un moyen mnémotechnique facile à retenir pour les politiques (qui n'aiment pas quand ça commence à avoir des chiffres après la virgule), mais de toutes façons il semble illusoire de définir précisément une valeur "maximale" basée sur les données scientifiques; bref on prend 2°C parce qu'il faut bien prendre quelque chose.

A remarquer que certains comme Hansen disent que 2°C c'est déjà beaucoup trop ... ce qui montre que le "consensus" est quand même à géométrie un peu variable. 

Bon mais ce n'est que le début. Comment transformer les 2°C en quantité de carbone? ben c'est simple, en connaissant la sensibilité climatique, c'est à dire la façon dont la température change avec le CO2, et qui s'exprime par l'augmentation de température causée par un doublement de la concentration en CO2. 

La température variant avec le forçage, et logarithmiquement avec la concentration en CO2, pour ceux intéressé par le calcul mathématique, je donne la formule permettant de calculer le réchauffement total depuis l'époque préindustrielle, à partir d'une concentration initiale de 280 ppm 

∆T = S * ln(C/280) / ln(2)

où C est la concentration en ppm et S la sensibilité climatique

Il y a juste un détail : c'est qu'on ne connait pas précisément cette quantité S, c'est en fait l'une des principales questions posées aux climatologues, et l'un des buts essentiels du GIEC, c'est de la préciser ! la valeur actuellement admise par le GIEC est "probablement entre 2 et 4,5°C". Un facteur 2 d'incertitude ne sera jamais considéré dans aucune science comme une valeur "précisément connue" bien sûr; evidemment, une telle incertitude ne peut que se répercuter sur la quantité de CO2 correspondant à une valeur de la température donnée. Si elle est de 2°C par doublement, on peut doubler la quantité de CO2 préindustrielle, qui était de 280 ppm, pour atteindre 560 ppm en restant dans les 2°C. Et si elle est de 4,5 °C, pour rester dans les 2°C, on ne peut se permettre que "environ" 2 fois moins de variation de CO2 (en réalité la dépendance est logarithmique, la valeur exacte est de 2^(2/4,5) = 380 ppm ... valeur déjà dépassée (on est presque à 390 ppm). 

Mais me direz vous , avec une sensibilité de 4,5 °C, si on a déjà dépassé 380 ppm, pourquoi n'a-t-on pas déjà atteint les 2°C (on est toujours qu'à 0.8 °C) ? le problème est qu'il s'agit là de la sensibilité "à l'équilibre" atteinte au bout d'un temps infini. Or dans les modèles, le climat met un certain temps pour se stabiliser. On n'observerait actuellement qu'une partie du réchauffement final. Comme on est contraint par les observations actuelles à seulement 0,7 °C de réchauffement environ, cela veut dire que plus la sensibilité est élevée, plus le temps mis à l'atteindre doit être long (pour expliquer qu'on en a qu'une partie).

Le problème est que ces estimations sont terriblement dépendantes des modèles et pas du tout certaines. Comment va-t-on faire pour en déduire une valeur utile alors ? Et bien on va calculer des "probabilités" pour que ça dépasse ou non 2°C en fonction de la quantité émise de CO2, et imposer une "probabilité maximale" à ne pas dépasser.

Et le verdict tombe : la quantité à ne pas dépasser pour avoir 80 % de chances de ne pas dépasser 2°C est, nous l'avons dit, ces fameux 565 Gt de CO2 avant 2050. 

Quand on écoute ce que disent les climatologues, ça paraît tout à fait sérieux :

The 565-gigaton figure was derived from one of the most sophisticated computer-simulation models that have been built by climate scientists around the world over the past few decades. And the number is being further confirmed by the latest climate-simulation models currently being finalized in advance of the next report by the Intergovernmental Panel on Climate Change. "Looking at them as they come in, they hardly differ at all," says Tom Wigley, an Australian climatologist at the National Center for Atmospheric Research. "There's maybe 40 models in the data set now, compared with 20 before. But so far the numbers are pretty much the same. We're just fine-tuning things. I don't think much has changed over the last decade."

"Le chiffre de 565 Gt a été trouvé par un des modèles les plus sophistiqués simulés par ordinateur qu'on construit les climatologue du monde entier [whouaah !]. Et ce nombre est confirmé par les derniers modèles climatiques finalisés à l'avance pour le prochain rapport du GIEC. "En les regardant comme ils viennent, ils diffèrent à peine entre eux, dit Tom Wigley, un climatologue australien au Centre National pour la recherche atmosphérique. Il y a peut etre 40 modèles maintenant, comparé aux 20 qu'il y avait avant. Mais pour le moment les chiffres sont toujours les mêmes. Nous ne faisons que raffiner les choses. Je ne pense pas que les choses ont beaucoup changé pendant la dernière décennie".

Evidemment quand on lit ça on ne peut être qu'impressionné ! les calculs les plus sophistiqués ont abouti au chiffre magique de 565 Gt, c'est donc sérieux ! 

Je préfère prévenir le lecteur que c'est à peu près à ce niveau du raisonnement que je trouve qu'il s'écarte totalement de la rigueur scientifique et emploie à tort et à travers les notions de "probabilités", pour aboutir à des résultats qui "font sérieux" mais n'ont à peu près aucune légitimité utilisable.

Pour calculer des probabilités, il faudrait être sûr d'une loi de probabilité des modèles. Or il n'y a aucune méthode scientifiquement sérieuse pour estimer des probabilités que les modèles soient justes. Ce n'est pas une notion définie scientifiquement. Un modèle est juste, faux, approximatif, mais il n'y a rien de tel qu'une loi de probabilité pour le définir. On peut à la rigueur estimer des probabilités numériquement en comparant un grand nombre de prédictions répétitives avec la réalité, comme on le fait en météo, mais il n'y a rien de tel bien sûr sur les prévisions climatiques à 50 ou 100 ans. "Compter les modèles" en supposant une équiprobabilité de chaque modèle n'est pas plus satisfaisant, si il y a des erreurs systématiques dans les modèles, elles peuvent aller toutes dans le même sens. Et ce n'est pas rajouter 20 modèles de plus à 20 autres qui change le "sérieux" des estimations. L'ensemble de la méthode revient à supposer que les modèles sont statistiquement aléatoirement distribué autour de la réalité et qu'il suffit de faire la moyenne pour avoir une bonne prédiction. Mais c'est une confusion totale avec le fait (connu) que des erreurs de mesure aléatoire se compensent. Rien ne dit que les erreurs des modèles sont ALEATOIRES ! 

Et si la moyenne est peut être toujours la même, ça n'empêche pas que les différents modèles sont quand même assez en désaccord sur la sensibililté, comme le montre la distribution des températures finales prédites par différents modèles pour le même scénario d'émission :

http://www.manicore.com/documentation/serre/evolution_graph4.gif

Le résultat de ces estimations, c'est qu'on va artificiellement baisser la valeur admissible du CO2 à cause des modèles prévoyant une grande sensibilité, par "sécurité". Autrement dit , inclure dans l'échantillon des modèles des modèles faux, surestimant la sensibilité climatique, va automatiquement faire baisser la limite à laquelle on a droit - même si ces modèles sont faux. On va donc se décider selon la quantité plus ou moins grande de modèles faux qu'on va considérer, et pas sur celui qu'on considère le plus juste !!! 

Si vous appliquez cette méthode dans la vie courante, vous devez croire toutes les superstitions vous disant de ne pas passer sous une échelle, s'embrasser sous une porte, etc .. "au cas où ce serait juste" (bon d'accord c'est ce que font beaucoup de gens .. :) ). 

Un autre problème est qu'aucune incertitude  n'est donnée sur ces 565 GtC. C'est juste le résultat mathématique du calcul, et c'est tout. Or c'est absurde. Déjà la précision avec trois chiffres significatifs est absurde. Ensuite on ne donne pas la dépendance de l'écart par rapport à la valeur centrale. Par exemple si on rajoute 100 GtC pour en émettre 665 GtC, de combien on dépasserait 2°C "en moyenne dans les modèles" ? de 0,1 °C ? de 0,5 °C ? de 1 °C ? 

Ne pas donner cette sensibilité , c'est estimer que les 2°C sont "un mur infranchissable" et que les coûts de les dépasser deviennent infinis (ou plus exactement, deviennent infinis par rapport au coût de réduire les fossiles). C'est à dire que l'hypothèse sous-jacente est , soit que le coût de dépasser 2°C est infini, soit que le coût de supprimer les fossiles est nul.

Or aucune de ces propositions n'est tenable. Le coût de dépasser 2°C n'est évidemment nullement infini  - sinon ce serait criminel d'accepter une chance de 20 % qu'ils soient dépassés , et le coût de se débarrasser des fossiles n'est pas nul - sinon autant s'en débarrasser tout de suite complètement . La valeur de 2°C , on l'a vu , est le résultat d'un compromis politique assez arbitraire - ce qui implique justement qu'il y ait compromis et balance entre avantages et inconvénients. On ne peut en aucun cas se fixer une limite infranchissable comme si rien d'autre ne comptait. Justifié ou pas, le fait même de décider d'un "compromis" implique bien qu'il y ait aussi un coût à supprimer les fossiles, coût qui n'apparaît nulle part dans l'estimation.

On peut quand même estimer la sensibilité du résultat à la quantité totale émise. On émet environ 30 Gt de CO2 pour 2 ppm de plus annuellement. Chaque Gt émis augmente donc de 1/15 ppm la concentration dans l'atmosphère. Comme elle a augmenté de 110 ppm environ, on a donc déjà émis 1600 Gt de CO2.

 Les 565 Gt CO2 "en plus " correspondent un total de 2200 Gt CO2. On a donc la correspondance "en moyenne sur les modèles" (avec les caveat ci-dessus sur la validité des modèles)

2200 Gt CO2 <-> 2°C <-> 150 ppm injectés dans l'atmosphère (soit une concentration finale de 430 ppm environ )

soit une sensibilité de 3,2 °C / doublement ( 3,2 = 2 * ln(2) /ln(430/280) ), une valeur plutôt "haute", qui vient comme nous l'avons vu de la marge de sécurité qu'on s'est donné un peu arbitrairement.

Que provoquerait une émission de 100 GtCO2 en plus ? eh bien ces 100 Gt CO2 produiraient 100/15 = 6 ppm de plus soit une concentration finale de 436 ppm au lieu de 430 ppm, et le surcroit de température ne serait que de 

3,6 * ln(436/430)/ln(2) = 0,07 °C en plus ! 

il est évident que la Terre ne va pas mourir de 0,07 °C en plus. les 565 Gt sont donc très approximatifs ! Même prendre 1000 au lieu de 500 ne rajouterait que 0,35 °C en plus. On peut penser que 2,35 °C sont insupportables alors que 2°C le sont, mais qui l'a démontré et comment ?

Par ailleurs, puisque le coût de renoncer aux fossiles n'est jamais pris en compte, comment comparer l'effet de ces 0.07 °C au coût de renoncer à ces 100 Gt de CO2 ?

la précision sur ce résultat de 565 Gt CO2 est donc totalement illusoire. On aurait pris 2,1 °C ou 1,9 °C , on aurait changé les probabilités limites, on aurait pris d'autres modèles, le résultat peut fluctuer au moins du simple au double....  mais ce chiffre est "vendu" comme étant "scientifique".

Bref en résumant : on a pris une limite arbitraire. On a utilisé un ensemble de modèles incertains pour estimer une "probabilité" sans réelle signification. On s'est fixé une limite arbitraire de probabilité à ne pas dépasser. On a calculé un résultat "par ordinateur" avec tout ça sans donner de barre d'erreurs ni de sensibilité. Et on sort un nombre qui a des conséquences absurdes, dont il est évident qu'il ne sera pas respecté.

Dans 20 ans, on aura probablement émis ces 565 Gt, et le plus probable est que la température n'aura monté que de 0.3 °C au rythme actuel, donc bien loin des 2°C. Les 2°C seront toujours une prédiction des modèles non vérifiés - personne ne va arrêter les fossiles totalement à ce moment là, pour un évènement hypothétique arrivant - peut -être- dans 100 ans. D'autant plus que comme nous l'avons vu, il est probable que le pic de fossiles conventionnels soit arrivé, et qu'on se batte comme des chiffonniers non pas pour l'accélérer, mais pour le ralentir .... Notons aussi que les 565 Gt ne sont valables que jusqu'à 2050, et que les comparer au chiffre total des réserves d'environ 2800 Gt de CO2 n'est pas très pertinent, parce que personne ne dit que ces 2800 Gt seront émis d'ici 2050 : ils correspondent à environ 100 ans de consommation actuelle. Pour estimer ensuite l'évolution des température, il faut faire des scénarios plus fins incluant la façon dont le CO2 sera finalement absorbé - un autre problème pas très bien connu. 

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13 août 2012 1 13 /08 /août /2012 18:14

L'été est une période propice aux nettoyages, et pas seulement dans la maison ... c'est aussi l'époque où il est plus facile de se débarrasser des éléments perturbateurs, en profitant d'une baisse de vigilance des estivants en vacances,  comme l'ont montré par exemple les récentes expulsions de Roms (euh pardon, "retour au pays aidé") par un gouvernement pourtant réputé de gauche. 

Les forums ne sont pas en reste. On m'a transmis un message provenant d'un forum disons "scientifique généraliste" et expliquant les raisons pour lesquelles deux des contributeurs à ce forum ont été jugés indésirables et ont fait l'objet de mesures de prémodération à cause de leur attitude sur le problème climatique. Je ne résiste pas au plaisir de vous faire partager ces raisons :

"Bonjour à tous les deux

Depuis la levée sous surveillance du moratoire sur les discussions climatiques nous sommes obligés de constater que vous avez repris vos mauvaises habitudes. Ces discussions deviennent la cible de dérives systématiques hors sujet, avec des arguments qui montrent que vous vous méprenez sur les objectifs et les méthodes employées par cette discipline.

Ceci a plusieurs conséquences néfastes : le message des climatologues est brouillé d'autant plus que vos arguments laissent penser que ceux-ci manqueraient de rigueur, voire seraient scientifiquement incompétents. L'impression qu'on en tire immédiatement, si on n'est pas informé, est que les conclusions de cette discipline scientifique ne seraient pas crédibles. Ceci n'est pas acceptable.

En outre ces discussions filandreuses font fuir des lecteurs "de base" qui viennent pour s'informer honnêtement et qui n'osent plus intervenir dans ce qu'ils prennent à tort pour des discussions scientifiques de haut niveau. Inversement quelques autres sont malheureusement impressionnés par ce qui leur semble être des interventions de qualité, mais qui n'en ont que l'apparence.

De plus, je tiens à vous rappeler que lors de la levée de votre précédente prémodération, je vous avais personnellement averti que cette levée se faisait sous conditions, et que si vous retombiez dans les mêmes travers la sanction serait rétabli. Force est de constater que vous n'avez malheureusement tenu aucun compte de mes précédents avertissements, et qu'au contraire vous avez profité d'une certaine clémence de l'équipe de modération pour recommencer.

Après discussion au sein de la modération sur la meilleure façon de résoudre ce problème et de rendre ces discussions utiles pour tous dans le respect de la charte du forum il a été décidé que:
vous êtes de nouveau prémodérés et aucun de vos messages touchant de près ou de loin le climat ne sera validé. Pour vos autres messages ils seront validés sans problème sous réserve de leur conformité à la charte.

Je trouve personnellement regrettable que vous n'ayez pas saisi la chance qui vous avait été donnée et que vous vous soyez entêtés dans une démarche que nous ne pouvons pas accepter sur ce forum.

Diable ! il semble donc qu'on reproche à ces forumeurs d'avoir "donné l'impression de discussions scientifiques de haut niveau" tout en étant "filandreuses" et aient réussi à "impressionner quelques autres [par des] interventions [leur semblant] de qualité", alors qu'en réalité ils se "méprennent sur les objectifs et les méthodes employés par cette discipline".

Il est quand même assez curieux que ces interventions n'aient pas pu être démontées en public,  si elles étaient aussi "filandreuses" et se trompaient autant sur les objectifs des climatologues ! et que la seule réponse qui ait pu être faite est de leur interdire indistinctement de publier quoi que ce soit sur le sujet.

C'est gênant, parce que le principe d'une discussion scientifique , c'est quand même l'échange d'argument. Ces forumeurs ont peut être eu tort dans leurs arguments, mais alors pourquoi ne pas plutot le démontrer publiquement ? j'avais déjà fait remarquer qu'il n'y avait plus aucun endroit sur le net où l'on pouvait échanger des arguments à propos du climat sans être prémodéré et souvent censuré (je précise d'ailleurs que ça semble être une habitude dans les deux camps). Et juger "inacceptable" de mettre en cause un discours scientifique, n'est ce pas exactement le contraire du principe même de la méthode scientifique, qui s'est en réalité construite par la remise en cause perpétuelle de ce qu'on avait dit avant ?

En m'excusant par avance auprès de mes lecteurs si j'ai pu leur donner une impression d'interventions de qualité alors que je me méprendrais sur ce qui disent les climatologues, je réaffirme que ce blog sera toujours un lieu pour en discuter librement,  et qu'il reste bien sûr ouvert à toute contribution sur le sujet, même si elle est en désaccord avec mes positions. 

 

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30 avril 2012 1 30 /04 /avril /2012 07:19

Une semaine avant le scrutin qui doit décider du prochain Président de la République Française, scrutin qui paraît sans grand suspense, (mais qui sait ...), il est intéressant de regarder l'attitude des candidats par rapport aux problèmes qui nous occupent sur ce blog. 

Evidemment, les problèmes économiques sont au coeur de la campagne. La conjoncture morose qui s'est installée depuis des années, les mauvaises nouvelles économiques, les craintes d'une nouvelle récession européenne (la Grande Bretagne et l'Espagne viennent d'être déclarées officiellement à nouveau en récession), tout cela est évidemment au centre des débats politiques; à l'inverse, à la grande désolation des écologistes, les problèmes écologiques et climatiques semblent passer au second plan. Sur un blog "normal" consacré à ces problèmes, je serais sans doute censé me joindre au choeur des lamentations sur le fait qu'on oublie de parler des problèmes climatiques, censés être bien plus graves pour l'avenir, et qu'on ne parle plus que de problèmes triviaux de dettes, de croissance, de crise économique.

Mais en fait, comme des lecteurs assidus s'en douteront peut être, ma réflexion sera exactement à l'opposé. La situation actuelle me semble au contraire clairement montrer que les VRAIS problèmes, pour les gens, sont justement les problèmes économiques. Dans quelques décennies, on s'interrogera peut être sur la question de savoir comment une communauté d'esprits brillants a pu élaborer l'idée que l'humanité était bien plus sensible à quelques degrés de différence dans la température moyenne du globe terrestre qu'à son niveau général de vie, ou plutôt, comment elle a pu imaginer que maintenir ce niveau de vie pendant 100 ans ne posait aucun problème de principe, et que les seuls dangers réels étaient ceux posés par les conséquences secondaires de cette croissance. Comme nous l'avons vu dans le billet précédent, les scénarios climatiques n'ont jamais imaginé que l'économie pouvait faire autre chose que continuer sa croissance. Il n'ont jamais imaginé que l'épuisement des réserves conventionnelles pourrait impacter la société bien plus gravement qu'une augmentation moyenne de 0,2 °C tous les 10 ans . Pour réaliser la bizarrerie de cette conception, rappelons nous qu'au cours du XXe siecle, la température moyenne a déjà augmenté de 0,7 °C , et la consommation d'énergie a été multipliée par 100. Si la température était réellement plus importante pour l'humanité que sa consommation d'énergie, alors logiquement notre niveau de vie aurait du décroître ! mais bien évidemment , il a été bien plus amélioré par l'emploi des énergies fossiles (qui sont, rappelons, corrélées POSITIVEMENT à tous les indicateurs de bien être que vous pouvez imaginer, et pas seulement le PIB), qu'il n'a été dégradé par les températures.

Evidemment, on peut imaginer que les conséquences climatiques deviennent un jour bien plus graves que ce qu'elles sont maintenant. Mais pour arriver à ce résultat, il faut supposer des extrapolations de croissance et des réserves de fossiles qui sont aussi bien plus grandes que celles qui seront vraisemblablement exploitées à grande échelle. Très peu de gens font le lien entre la crise actuelle et la fin du pétrole bon marché. Il est étonnant de voir qu'un baril durablement au-dessus de 100 $ ne parait plus être un gros problème, alors qu'il y a seulement quelques années, dépasser les 80 $ était considéré comme une menace sur la croissance mondiale. Mais on constate evidemment que l'énergie chère impacte toutes les consommations et ralentit l'économie. 

La place prise par les problèmes économiques est donc en réalité tout à fait normale. Que penser des "solutions" envisagées? hélas, sur ce plan, on ne peut être que pessimiste sur les capacités des milieux politiques et économiques , de tous les bords, à réaliser la vraie nature du problème. La seule "solution" envisagée, à tous les niveaux, et dans tous les bords, c'est ... relancer la croissance. La relancer par une cure d'austérité comme le propose la droite, ou par une relance keynesienne du pouvoir d'achat comme le réclame la gauche, par une politique protectionniste comme le demande la gauche radicale et l'extrême droite, ou par la croissance "verte" à base d'énergies renouvelables comme le proposent les écologistes, les médecins ne manquent pas au chevet du malade, et ils ont tous un diagnostic différent. Mais le but final est le même : sortir de ce cercle infernal, guérir le malade, lui faire retrouver sa bonne santé économique, enrichir les pauvres sans (trop) affaiblir les riches. Même les partis qui dénoncent la course au "productivisme" finissent toujours par promettre une revalorisation des bas salaires, une réduction des inégalités au niveau mondial, en fantasmant sur un monde étrange où tout le monde serait moins pauvre,  mais sans consommer plus ... 

Hélas, l'idée que le malade pourrait être réellement incurable a du mal à se faire entendre. Si, je le pense, la raison fondamentale des difficultés économiques est le fait que le monde commence à buter sur les limites des ressources naturelles, à commencer avec celles du pétrole, aucune politique économique ne réglera fondamentalement ce problème. Les politiques économiques pourront, au mieux, tenter de gérer la répartition des efforts et l'inégalité des revenus. Ce qui n'est d'ailleurs pas du tout négligeable, et permet tout de même de choisir entre des candidats différents, qui , à défaut d'arriver à résoudre le problème de la croissance, auront peut être une attitude différente pour tenter de le mitiger.

Ne nous faisons pas d'illusion : les graves crises économiques risquent de se multiplier à l'avenir. La dette de la Grèce n'a pas été du tout réglée, elle a même augmenté sur le long terme. Les scénarios de "guérison" reposent tous sur l'idée que les mesures d'austérité qu'on lui a imposées pourrait lui permettre à l'avenir de retrouver la croissance, et de payer enfin pour les nouveaux prêts qu'on lui accorde. Evidemment, la perspective inverse est tout autant, et même plus probable. Derrière se profile l'Espagne, qui a un poids autrement plus important dans l'UE (9 % du PIB total de l'UE, au 4e rang, contre 2% pour la Grèce). La Grande Bretagne est en piteux état, et la France n'est pas bien mieux. Et les dangers des crises sont bien connues : augmentation de la précarité, endettement des ménages, réflexes de protection nationalistes et xénophobes.... tout ce qu'on nous promettait pour dans 50 ans comme étant dues à d'hypothétiques conséquences climatiques d'une croissance continue des fossiles,  risque fort d'arriver immédiatement , dans la décennie qui vient, pour la raison exactement inverse : la pénurie d'abord du pétrole, puis, dans quelques décennies, du gaz et du charbon. Combien de temps mettrons nous pour le réaliser vraiment ? 

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9 décembre 2011 5 09 /12 /décembre /2011 08:20

Le sommet de Durban est en train de s'achever dans l'indifférence générale, l'attention des médias étant bien plus attirée par les manoeuvres désespérées de l'UE de sauver son système monétaire. Ce changement de pôle d'interêt est d'ailleurs loin d'être anecdotique, et préfigure probablement l'époque prochaine où il sera de plus en plus clair que les problèmes d'épuisement des fossiles sont bien plus proches, et bien plus graves, que ceux posés le changement climatique. 

Posé comme il l'est actuellement, la limitation des fossiles ne peut être qu'un échec. Pourquoi ? parce qu'elle pose des contraintes dont premièrement l'origine est obscure, et deuxièmement l'application est impossible.

Le but affiché dans les médias est "il faut tout faire pour ne pas dépasser 2°C".

 

Premier problème : pourquoi au juste 2 °C ? il est très difficile d'obtenir une réponse claire à cette question. Ca semble être l'estimation de la température atteinte dans les dernièrs interglaciaires, reconstruite indirectement par les mesures isotopiques dans les calottes glaciaires,  et l'argument serait : au-dessus, on ne sait pas ce qui va se passer.

 

800px-Vostok_Petit_data.png

Reconstruction des températures d'après la concentration isotopique dans les glaces de Vostok, au pôle Sud. La courbe bleue correspond à la rencontruction en température, d'après Petit et al., Nature, 1999

Une première remarque,c'est quand même que la mesure isotopique dans les glaces n'est quand même pas une mesure très précise de la température moyenne du globe. Il est d'ailleurs assez amusant que les mêmes mesures, à l'échelle du dernier millénaires, montrent que le réchauffement actuel ne semble avoir rien d'extraordinaire.

http://wattsupwiththat.files.wordpress.com/2011/11/kobashi_2011_fig1.png?w=640

Reconstruction des températures au Groenland, d'après Kobashi et al., GRL, 2011.

Face à ce graphique, les climatologues se souviennent tout à coup que l'indicateur n'est qu'approximatif, que les variations ne sont que locales,  et qu'il ne faut pas le prendre trop au sérieux. Mais quand il s'agit de gouverner la politique mondiale, la glace vieille de centaines de milliers d'années devient tout à coup très fiable ...

Une deuxième remarque, c'est que si c'est le seul paramètre utilisé pour se fixer le seuil à ne pas dépasser, alors on se demande bien à quoi a servi tout le reste du travail du GIEC, en particulier le WG III. A quoi sert de s'échiner à quantifier l'effet sur les forêts, les précipitations, le niveau de la mer, etc.. et l'impact de tout cela sur les sociétés humaines, si c'est finalement pour conclure "bon on a deja connu 2°C (à la louche) dans le passé, après c'est l'inconnu, donc on va décider de s'arrêter avant " ?  on aurait pu économiser un paquet d'études ....

Ensuite, il y a le problème de savoir à quoi correspond en pratique le seuil de 2°C. A combien de fossiles sommes nous autorisés? en réalité personne ne sait, puisque les estimations de sensibilité climatique sont entachées de grandes incertitudes. La sensibilité étant logarithmique, la variation de température pour une concentration C par rapport au seuil préindustriel de 280 ppm est ∆T = S ln(C/280)/ln(2) , où S est la sensibilité climatique. Si on prend l'intervalle de confiance de S de 2,1 à 4,4 °C par doublement, une valeur de 2°C au dessus des valeurs préindustrielles correspondrait à un intervalle de 280*2^(∆T/S) soit une valeur comprise entre 380 ppm pour les fortes sensibilités à 541 ppm pour les faibles. 380 ppm est d'ailleurs déjà dépassé, mais en arrêtant les fossiles maintenant, une partie du CO2 serait réabsorbée et nous pourrions terminer en dessous.

Le problème est que cette incertitude se traduit par une incertitude énorme sur la quantité de fossiles autorisées. Actuellement, l'injection de 10 Gt de carbone par an environ fait augmenter le CO2 de 2ppm /an. La moitié est absorbée, mais en réalité si on attend assez longtemps, environ les 3/4 seraient absorbés asymptotiquement. On peut donc considérer que chaque ppm d'incertitude correspond à 10 Gt de carbone. L'incertitude précédente de 160 ppm correspond alors à une incertitude de 1600 GtC ... bien plus que les réserves prouvées restantes de tous les hydrocarbures ! evidemment on peut prendre l'hypothèse la plus contraignante et se ramener à 380 ppm, ce qui oblige à arrêter dès maintenant presque tous les fossiles. Mais quelles seraient les conséquences si on s'était trompé et que la sensibilité est plus faible? serions nous capables de plonger le monde dans le chaos pour rien ? 

 

Le discours ambiant semble admettre sans discuter que le seuil de 2°C prime sur tout, ce qui revient à dire que le coût est infini, par rapport au coût de tout ce qu'on pourrait faire pour l'éviter. Mais c'est très loin d'être une évidence. Après tout il n'y a aucune estimation de ce que coûte REELLEMENT une augmentation de 2°C. Même si Hansen décrit un futur catastrophique avec fonte totale des calottes glaciaires, personne n'a de certitudes qu'il a raison. Et même si il avait raison, son argument revient à dire qu'il faudrait saborder la civilisation pour la sauver - drôle d'histoire de Gribouille. En arrêtant les fossiles maintenant, le monde serait instantanément plongé dans le chaos, tout cela pour éviter des conséquences hypothétiques dans plusieurs siècles. Mais dans plusieurs siècles, qui sait comment sera la civilisation de toutes façons? qu'avons nous à sauver ? qui sait si nous n'aurons pas une humanité redevenue nomade, qui se fichera bien de savoir où est le niveau de la mer ? l'humanité a traversé plusieurs glaciations et déglaciations, avec des niveaux de la mer variant de centaines de mètres. Le tableau brossé par Hansen d'une civilisation survivant à la disparition des fossiles mais anéantie par le changement climatique est tout à fait contestable - il est bien plus probable que ce soit le contraire.

 

Il y a sans doute un seuil au-delà duquel les fossiles ont plus d'inconvénients que d'avantages. Le problème, c'est que personne ne sait le calculer, et qu'on compense une incertitude scientifique par un slogan politique. Pire, il est probable que toutes les mesures proposées n'aient aucun effet réel sur la quantité de fossiles brûlés. En effet, les seules contraintes fortes sur la consommation sont sur les pays industrialisés (et encore, à condition qu'ils ratifient le protocole). Les pays en voie de développement, eux, sont exclus des contraintes sur la consommation. C'est tout juste si on les prie d'améliorer l'efficacité de leur économie, en diminuant leur intensité énergétique, ce qui revient, d'ailleurs, à admettre qu'ils seraient bien incapables de se développer sans fossiles. Cependant, diminuer l'intensité énergétique n'assure nullement qu'on va diminuer la consommation globale. Cela l'assure d'autant moins que pendant les 30 dernières années, l'intensité énergétique a constamment diminué , et la consommation énergétique, elle , a constamment augmenté.

 

La raison est simple : diminuer l'intensité énergétique ne dit rien sur la quantité totale de biens qu'on va produire. Ca ne fait diminuer la consommation totale que si le total des richesses produites est gardé constant. Mais rien ne dit que c'est le cas (et de fait, ça ne l'est pas !). Le gain d'intensité énergétique peut tout aussi bien être mis à profit pour produire PLUS de richesses avec LA MEME quantité d'énergie. Cette évidence semble constamment ignorée des écriveurs de scénarios qui supposent une croissance économique constante, donnée à l'avance, sans réaliser que modifier le fonctionnement de l'économie, dans un sens de plus grande efficacité, sera toujours mis à profit pour produire plus de richesses : ce ne sont pas les besoins qui manquent dans le monde ....

Et même si, par extraordinaire, la consommation baissait, personne ne dit combien de temps on va continuer à consommer des fossiles. Or la quantité totale émise dépend non seulement de la consommation annuelle de fossiles, mais aussi de leur durée de vie. Diminuer la consommation ne fera qu'en laisser pour plus tard, sauf dans le cas où on trouverait un moyen de s'en passer totalement dans le futur - supposition  tout à fait hypothétique.

 

Notez bien que je ne dis pas  qu'il ne sert à rien d'économiser des fossiles, bien au contraire. C'est tout à fait nécessaire, surtout dans l'optique de leur dépletion proche. Je dis simplement que ça n'aura nullement comme effet de diminuer la quantité totale consommée - simplement parce qu'on ne sait toujours pas s'en passer. La seule façon de s'assurer qu'on ne dépasse pas une certaine quantité de fossiles serait tout simplement d'en interdire l'exploitation au-delà d'un certain périmètre -mais cette option est jugée inacceptable, là encore en contradiction avec l'idée que le danger couru serait plus grand que tout, alors que la réduction de la consommation n'aurait elle pas autant de conséquences.

 

Ainsi, l'échec vient dès le départ de la présence de nombreuses contradictions dans le discours initial  : un danger présenté comme absolu, mais qu'on ne sait pas quantifier, et qu'on applique de manière vaguement probabiliste. L'idée qu'on pourrait sans grand problème se passer de fossiles - mais le refus de l'imposer aux PVD en leur demandant de se développer sans eux. L'idée qu'il faudrait réduire la consommation  - mais pas limiter la production. En réalité, tout le monde sait très bien que l'économie mondiale repose sur les fossiles, qu'on continue à chercher desespérément aux quatre coins du globe, sous tous les régimes, et dans tous les pays. Pire, le monde n'est pas entré dans une crise ciimatique comme on le raconte parfois (le climat n'a quasiment pas varié depuis 10 ans ...) , mais dans une crise énergétique, qui se traduit par une crise monétaire et économique. Il commence à mesurer l'ampleur des problèmes posés par la limitation des ressources, bien plus présents, immédiats, et graves, que des spéculations sur le niveau des mers du prochain siècle que personne n'ira vérifier. Il n'y a donc rien d'étonnant dans le résultats des négociations climatiques, qu'on pressent assez dérisoires ..

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13 novembre 2011 7 13 /11 /novembre /2011 08:25

Je réagis à chaud (et même en temps réel; l'interview se poursuit, ce qui me permet de réagir en temps réel ) à l'interview d'un philosophe, Dany-Robert Dufour, sur France Inter, à l'occasion de la sortie de son dernier livre :" L'individu qui vient… après le libéralisme,".  Les idées sont résumées par exemple ici  et l'interview pourra être entendue sur le site de France Inter.

L'auteur adresse évidemment un thème qui m'est cher : le fait que la crise actuelle n'est pas une crise habituelle mais le début d'une mutation profonde de la société. Il est frappant dans les questions de la journalistes que le sentiment diffus d'une crise "multiple", d'une crise profonde de la civilisation, s'est installé dans la population. Je cite le résumé de wikipedia :

"Il part tout d'abord du constat que la civilisation occidentale, après avoir surmonté en un siècle les deux séismes majeurs que furent le nazisme et le stalinisme, se trouve désormais emportée par le libéralisme d'aujourd'hui, l'ultra et le néolibéralisme. Il en résulte une crise générale d'une nature inédite : politique, économique, écologique, morale, subjective, esthétique, intellectuelle...".

Le discours de M. Dufour s'inscrit, on pourrait dire , dans l'"anti-Brückner" : il s'articule autour d'une critique fondamentale des valeurs de la société matérialiste et du système capitaliste, et voit dans le fait que notre système est arrivé à bout l'origine de la crise profonde qui nous affecte, et que nous devons effectuer une mutation profonde pour en sortir, mutation qui est possible selon l'auteur :

"Cette civilisation possède pour l'auteur les sources et les ressources nécessaires à sa Renaissance. C'est pour cette raison qu'il propose d'examiner à nouveaux frais les fondements du récit occidental. Il propose en somme de tout reprendre et de réussir là où les deux grands récits de fondation de l'Occident ont finalement échoué devant cet avatar assez diabolique, le divin Marché. Pour ce faire, il propose de relire le récit monothéiste, que les Latins tenaient de Jérusalem, pour lui faire admettre une seconde fois (après Pic de la Mirandole, initiateur de la Renaissance) la dignité de l'homme et de la femme. Et il propose de relire le récit du Logos, venu des Grecs et d'Athènes en particulier, en visant à le débarrasser de l'exclusion qu'il prononçait à l'encontre de certaines catégories de citoyens voués au travail manuel et à l'entretien des maîtres. L'enjeu, c'est tout simplement la perspective d'une nouvelle Renaissance. Une nouvelle dynamique du type de celle du Quattrocento, qui a su retrouver et s'appuyer sur les fondements grecs de la civilisation pour dépasser l'enlisement dans des dogmes obscurs. Dufour propose donc de reprendre le processus civilisationnel là où il fut interrompu pour qu'advienne l'individu enfin réalisé, fruit de la civilisation occidentale, osant enfin penser et agir par lui-même tout en reconnaissant à l'autre les mêmes droits à l'individualisation que les siens. Soit un individu guéri de l'égoïsme actuellement érigé en loi universelle (le self love d'Adam Smith) et prévenu contre toutes les formes de grégarité (celles des barbaries récentes des foules fanatisées et des masses collectivisées et celle, actuelle, de la tyrannie sans tyran de la consommation de masse). Le livre se clôt sur un ensemble de trente propositions à mettre en œuvre sans tarder.

M. Dufour a donc une approche philosophique et "affective" de la crise. La vision qu'il exprime est assez répandue : nous sommes en crise à cause de notre système economique et de nos valeurs matérialistes. Et il termine par l'évocation de la crise grecque, victime selon lui des lois injustes du marché, qui les plonge dans la pauvreté, en ne faisant qu'aggraver les choses.

Jouons aux enfants innocents, vous savez, l'âge très énervant où on n'arrête pas de demander "pourquoi" . Pourquoi "Aggraver les choses" ? ben oui ils sont en crise , donc c'est grave . Euh, mais Pourquoi c'est grave ? ben c'est grave parce qu'ils n'ont plus d'argent. Ah bon, et ça fait quoi de ne plus avoir d'argent ? ben on devient pauvre, c'est grave ! ah bon pourquoi c'est grave? ben quand on n'a plus d'argent, on ne peut plus acheter des choses, on n'a plus de protection sociale, bref ... on n'a plus les avantages de la civilisation industrielle. En réalité, c'est bien de cela dont les "indignés s'indignent" : perdre leurs avantages, être exclus du système. La crise n'est ressentie comme une crise que parce qu'elle menace, à terme, notre niveau de vie actuel.

Euh mais là, il y un léger problème de logique qui ne devrait pas échapper à un philosophe : l'origine de la crise serait nos valeurs, notre mode de vie, mais la crise en elle-même est définie, identifiée, caractérisée par le fait que nous PERDRIONS notre mode de vie ? c'est inhabituel, quand on diagnostique une maladie, de considérer que c'est la perte de la maladie (donc la guérison) qui est le problème ! si il y a bien un moyen facile d'arrêter les consommations, les gaspillages, etc... c'est bien de rendre les gens pauvres.

ce discours, pourtant très répandu, transporte une contradiction fondamentale : si c'est notre mode de vie qui est le problème, pourquoi est-ce un problème de le perdre ? si l'argent n'a pas d'importance, pourquoi nous plaignons nous que les banques nous le volent ? si la richesse ne compte pas, pourquoi tout le monde la réclame, pourquoi l'injustice mondiale est elle décrite par le fait que les pays pauvres sont exploités au profit des pays riches ? quel est le "bon" indicateur alors ? l'argent, ou le manque d'argent  ?

Ce genre de paradoxe, qui fait partie pour moi de la catégorie "paradoxe de la marmite " rapporté par Freud, c'est à dire des argumentations mutuellement contradictoires (l'histoire est : deux amis se rencontrent, l'un dit : "dis donc, la marmite que je t'ai prêtée, tu me l'as rendue fendue" L'autre répond "Hein? d'abord tu m'as jamais prêté de marmite, et ensuite je te l'ai rendue en bon état" (et on peut ajouter : et d'abord elle était déjà fendue ")). Ce genre d'argument est signe d'un non-dit, d'un "cadavre dans le placard" qu'on veut cacher par un discours rationalisant.

Quel est le cadavre manquant ? dans la liste des "crises" que nous vivons figure un absent de marque. Les lecteurs de ce blog savent que selon moi, la crise est essentiellement une crise des ressources, et en réalité surtout énergétique, et en réalité surtout pétrolière. Le monde patine parce qu'il arrive au bout de la croissance de la ressource qui a permis à notre civilisation de prendre les formes qu'elle a, les énergies fossiles, et en particulier le pétrole.

Tout comme on ne parle pas de sexe , on ne parle pas d'énergie quand on est bien élevé. C'est trop "matériel", c'est trop vil. Même si, tout comme le sexe l'est pour l'humanité, c'est en réalité l'ingrédient indispensable à notre civilisation , et que nous (en tant que civilisation) n'existons que par elle. Il vaut mieux parler de valeurs, d'esthétique de morale....

Mais il y a un problème : le matérialisme, l'envie de richesse, l'individualisme, sauf erreur, ne sont pas arrivés en 2008. Ils ont toujours existé, et l'avidité, l'envie de conquête, est aussi vieille que l'humanité. Ce ne sont pas ses valeurs en soi qui sont responsables de la société industrielle, et pas non plus de sa disparition. L'égoïsme humain (que je ne nie pas) a juste PROFITE des occasions inespérées d'enrichissement qui se sont présentées avec le développement industriel. Le seul phénomène nouveau, ce sont les limites que la nature pose à notre croissance. Ce ne sont pas notre avidité qui est responsable de la crise, elle était surtout responsable de la croissance qui l'a précédée : ce sont les limites naturelles que la nature met à notre avidité. Et la perception de ce coup d'arrêt comme une crise est précisément le signe que nous n'avons nullement renoncé à notre envie de richesse - sinon nous n'en souffririons pas.

Du coup, les soi-disant "solutions" basées sur un changement de valeurs sont à mon avis illusoires. Nous ne changerons pas de valeurs. Personne ne sera heureux de renoncer à du pouvoir d'achat, de devoir abandonner un logement grand et bien chauffé pour revenir dans des petits appartements insalubres, de se passer de voiture, de ne plus partir en vacances, de ne plus avoir de protection sociale. Et ce n'est pas un changement de valeurs qui permettra de les conserver, de retrouver du pétrole sous la terre, de diminuer fortement l'intensité énergétique. Il faut arrêter de dire n'importe quoi : nous aurons certainement besoin d'une mutation profonde de nos cadres de pensées pour faire face à une nouvelle ère post-croissance, celle de la décroissance, mais ce ne sera sûrement pas une "solution" à la crise que nous vivons, et ça se fera dans la douleur, d'autant plus que nous persisterons à se tromper sur le diagnostic, et à croire que les solutions sont à portée de notre main : la réalité risque de nous démentir cruellement, et en réalité, c'est ce qu'elle a déjà commencé à faire. 

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9 octobre 2011 7 09 /10 /octobre /2011 09:05

L'intellectuel (je pense qu'il mérite quand même ce nom) Pascal Brückner vient de sortir un ouvrage au vitriol contre les "fanatiques de l'Apocalypse".

http://multimedia.fnac.com/multimedia/FR/images_produits/FR/Fnac.com/Grandes110/7/1/4/9782246736417.gifSuivant le mot de l'éditeur :

 

En apparence, il n'y aurait rien a dire contre tous les discours qui prétendent sauver la Terre, en réduisant nos dépenses d'énergie, en consommant moins, en gaspillant moins, mais si l'on creuse sous la façade de la décroissance souriante, que trouve-t-on ? Rien d'autre que la haine de l'homme ! Ici, ce sont des vers qu'on a élevés en cave, là c'est le retour de l'homme sauvage, laissant la plus petite empreinte écologique sur la planète qui souffre.
Le meilleur moyen de ne pas polluer ne serait-il pas plutôt de cesser d'exister ? Et si l'écologie visait à notre disparition plutôt qu'à notre bien-être ? Et si la souillure c'était l'homme, moderne consommateur comme le citoyen des pays émergents, qu'il faudrait éradiquer de la surface d'une Terre prise comme sujet de droit ? Sommes-nous gouvernés par nos peurs ?
L'Ecologie est devenue une idéologie globale, avec ses prêtres, ses temples et son vocabulaire digne d'un nouveau catéchisme catastrophiste.
« L'homme est le cancer de la Terre » dit l'un de ces pieux servants de la décroissance. Au moment où la science, du Mediator au nucléaire, du catastrophisme ambiant aux éoliennes soupçonnées de rendre migraineux, du soja tueur au réchauffement climatique, est entrée définitivement dans l'ère du soupçon, l'essai de Pascal Bruckner tombe à point.

S'émanciper du progrès, se laisser griser par les spécialistes du vague, croire se soustraire au risque, ce sont les tentations d'une écologie régressive, totalitaire, devenue aujourd'hui majoritaire.

 

Je précise tout de suite : je n'ai pas encore eu le temps de me procurer ou d'emprunter cet ouvrage, je n'en connais que ce que l'auteur a dit lui même  à la radio et des différents compte-rendus que j'ai pu en voir. Néanmoins, je crois que le discours est assez clairement exposé pour qu'il n'y ait pas ambiguité sur le fond : l'auteur dénonce une intolérance qu'il décrit comme religieuse du camp écologiste, dont le seul discours est celui de la culpabilisation et de la mortification de l'homme, pour des résultats en réalité dérisoires. Ce sont simplement des ennemis du progrès et de l'homme, qui utilisent leurs fantasmes pour assouvir leurs pulsions morbides. 

Comme on peut s'y attendre, cet essai provoque des réactions extrêmement violentes du camp "ecologique" et "altermondialiste" (le lien donné est un échantillon aléatoire de ce que j'ai pu trouver dans la blogosphère). Le cas de Pascal Brückner est donc réglé en deux lignes : c'est un con, un suppôt du libéralisme et du consumérisme, l'incarnation précise de ce que cette mouvance dénonce. Et bien sûr, cette dénonciation sera elle-même prise comme une preuve par les partisans de Brückner de l'intolérance et de l'incapacité à discuter des "ayatollahs verts". Le type parfait de débat mort avant d'être né, se résumant à des noms d'oiseaux échangés de part et d'autre, et en général sans auto-critique mutuelle.

Comme les lecteurs l'ont sans doute remarqué, le but de ce blog est d'essayer , autant que possible, d'examiner avec un oeil objectif les débats sociétaux autour des enjeux énergétiques et climatiques, et cet essai en fait indéniablement parti. Quelles réflexions m'inspirent-il?

Disons le tout de suite : je trouve une partie des réflexions de P. Brückner justifées et elles rejoignent certaines que je m'étais faites moi-même. J'ai déjà été frappé par le côté objectivement proche de la démarche religieuse de toute une mouvance écologiste, particulièrement dans le domaine climatique. Il y a effectivement des références constantes au "mal" que nous faisons à la planète (bien que les planètes se fichent évidemment totalement de ce qui se passe à leur surface, que la plupart sont de toutes façons inaptes à la vie, avec des gaz toxiques ou à effet de serre bien plus grand que sur la Terre, et que ça ne gêne personne). Il y a des conduites s'apparentant au rites de mortifications, des actes symboliques de contrition , des textes sacrés (le rapport du GIEC...) et des hérétiques voués à un bûcher symbolique. Il y a la menace d'une apocalypse imminente millénariste, mais aussi la promesse d'un avenir radieux (appelé dans ce contexte le "développement durable"), si nous nous conformons aux préceptes enseignés : prendre les transports en communs, installer des panneaux photovoltaiques, des éoliennes, et des chauffe-eaux solaires, fermer les robinets, ne pas manger de tomates en hiver, voilà un exemple des comportements qui devraient nous assurer le paradis et nous sauver de cette apocalypse.

J'ai déjà remarqué la contradiction fondamentale de ce discours. En réalité, les dangers dénoncés ne sont pas les dangers pour la planète, mais pour nous mêmes. La planète se fiche totalement de savoir combien de grenouilles vivent sur elle - combien d'hommes aussi d'ailleurs. Elle se fiche totalement que des hydrocarbures aient été stockés, puis brûlés des centaines de millions d'années plus tard. Ils auraient pu être brûlés sur place immédiatement sans se fossiliser , elle s'en serait fichue tout autant. En réalité, la pollution, l'épuisement des ressources, des sols agricoles, etc.. ne gêne que nous - éventuellement quelques mammifères supérieurs dont nous nous sentons affectivement proches comme les ours blancs ou les baleines, qu'on aime bien à condition qu'ils ne viennent pas nous concurrencer sur nos propres ressources (c'est déjà moins évident pour les rats et les loups ..). Mais personne ne se soucie de l'éradication du virus de la variole, ou plutôt tout le monde s'en félicite. Donc le discours écologique est en fait un discours de sauvegarde de l'humanité - ce qui n'a rien de détestable en soi, par ailleurs, mais qui est en contradiction avec son affichage de défendre la planète contre l'homme. Et même un discours de sauvegarde de la société industrielle : puisqu'au fond, réclamer à corps et à cri le développement des énergies renouvelables, des éoliennes, du solaire, à quoi ça sert sinon à chercher désespérément à sauvegarder notre mode de vie malgré l'épuisement des ressources , et en tentant d'éviter les conséquences climatiques, vraies ou supposées - qui ne sont graves que en ce qu'elles impactent l'homme et la société. Pascal Brückner a sans doute raison dans la dénonciation d'une attitude quasi religieuse des intégristes verts - il ne remarque peut être pas vraiment la contradiction interne de leur discours : c'est que ses supporters, tout en prétendant contester les valeurs de la société industrielle, font en réalité tout pour la sauvegarder, et les mesures qu'ils proposent (qu'elles soient les bonnes ou non), n'ont en réalité que pour but de la perpétuer le plus longtemps possible. 

 

Mais il y a une contradiction inverse, ou plutôt, une faille dans l'autre camp : c'est que Pascal Brückner ne croit simplement pas à la non-perennité de notre civilisation. Autrement dit si les écologistes ont tort, c'est non seulement de vouloir obliger la société à entrer dans une démarche d'auto mortification, mais aussi de prévoir inutilement des catastrophes qui n'arriveront jamais. Il exprime, comme souvent dans le camp auquel il appartient, une confiance indéfectible dans les capacités de l'homme à surmonter tous ses problèmes. A vrai dire, sur ce plan, il se retrouve exactement dans la situation de ceux qu'il attaque, qui ont AUSSI une foi absolue en les hommes pour être capable de maîtriser leur destin- simplement les solutions proposées ne sont pas les mêmes. 

Il y en réalité confusion de deux questions :

a) la société moderne est elle BONNE ou MAUVAISE.

b) la société moderne est-elle DURABLE ou NON DURABLE.

 

Notons qu'il n'y a pas de relation directe entre ces notions. Il y a des choses bonnes et durables, comme un beau paysage, ou bonnes et non durable comme les vacances,  ou mauvaises et non durables comme un rhume, ou mauvaises et durables comme la mort d'un être proche. Il n'y a pas de raisons que ces notions soient corrélés. Et on constate que sur ces deux notions, l'avis des gens différent profondément : certains pensent qu'elle est bonne , d'autres mauvaise, et certains pensent qu'elle est durable, et d'autres non. Y a -t-il corrélation INDIVIDUELLE entre ces avis? j'avais tenté le test sous forme de sondage sur un forum scientifique, et la réponse était indéniablement OUI : les gens ayant une bonne opinion de la société avaient en général tendance à penser qu'elle ne risquait pas grand chose, et ceux ayant une mauvaise qu'elle allait bientôt s'écrouler.

Il n'y a pas , encore une fois, de raison causale qui justifie cela; on ne peut y voir qu'un effet psychologique - guidé par la charge affective que nous mettons par rapport à cette société. Je ne vais pas faire d'analyse psychologique détaillée qui n'est pas de ma compétence, je remarque simplement la corrélation très nette entre le fait d'avoir une opinion positive de la société et de croire qu'elle est éternelle. Cette opinion brouille nos capacités d'analyse rationnelle. J'ai tenté d'argumenter qu'en réalité, il n'y a pas de raison objective de penser que notre société industrielle est de très longue durée de vie. Toutes les caractéristiques qui la distinguent des précédentes sont essentiellement la conséquence de l'utilisation massive de ressources non-durables, contrairement justement à celles qui l'ont précédé. Non seulement elle est fondée sur la croissance dont nous avons suffisamment montré qu'elle n'avait aucune possibilité de durer éternellement, mais même la stabilisation des consommations de fossiles à la valeur actuelle ne leur donne une espérance de vie que d'environ un siècle - très peu à l'échelle historique , et ridicule à l'échelle de l'espèce humaine. En revanche il est indéniable que nous vivons bien mieux que nos ancêtres, et que personne, même parmi les écologistes, n'est prêt à renoncer réellement au confort dont nous disposons; ils prennent d'ailleurs bien soin de préciser qu'il "ne s'agit pas de revenir au Moyen Age" , et qu'il ne s'agit pas non plus , contrairement à ce que dit M. Brückner , d'interdire de prendre ses vacances en avion, quand on ne peut pas faire autrement ! ce qui est assez drôle au fond, parce que quand on voit que Pascal Brückner n'a pas de voiture et que Cécile Duflot va aux Maldives en avion, on se demande en peu en quoi leurs vies diffèrent profondément. Un député écologiste européen viendra peut etre un peu plus souvent qu'un député libéral en transport en commun - mais grosso modo, l'écart de mode de vie qui les sépare est epsilonesque par rapport à celui qui les sépare tous les deux des civilisations agricoles traditionnelles - les seules à être en réalité un tant soit peu "durables" !! derrière le combat sauvage qui les oppose, se cache en réalité un mode de vie très proche et dont un extraterrestre qui ignorerait notre langage, mais qui observerait les sociétés à travers les siècles, aurait bien du mal à distinguer ce qui les oppose.

La conclusion personnelle que je tire de tout cela, c'est que notre société est globalement face à une perspective extrêmement angoissante, la perspective de sa fin inéluctable, et que, comme très souvent dans ce cas là, elle y répond par une stratégie du déni. La stratégie du déni consiste à produire deux discours également improbables : soit par une foi aveugle en ses capacités naturelles  à résoudre ses problèmes d'elle même,  sans qu'il n'y ait rien à faire (discours libéral du "business as usual"), ou alors l'obligation qui lui est faite de passer par une étape de mortification et d'efforts pour accéder à un état tout aussi illusoire, une société "écologique" qui assurerait le bonheur, cette fois vraiment éternel, aux individus. Aucune de ces démarches n'est à mon sens plausible, bien sûr. Elles sont, en revanche, le signe le plus certain de l'absence de solution réelle à ces problèmes, et de l'avancée lente, mais inéluctable, de la société industrielle vers son déclin.  

 

 

 

 

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