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3 janvier 2020 5 03 /01 /janvier /2020 09:16

Bonjour

parmi les évènements les plus spectaculaires de l'année 2019 qui vient de se terminer, figurent sans nul doute les immenses incendies qui ravagent l'Australie, qui ont déjà brûlé des millions d'hectare (la superficie de la Suisse) et menacent de provoquer une véritable crise humanitaire, des populations isolées risquant de tomber à court d'eau et de carburant, dans un paysage d'apocalypse.

Dans tous les articles relatant ces incendies, un seul coupable est nommé : le réchauffement climatique, dont tout le monde sait très bien qu'il augmente les températures, donc les sécheresses, donc les incendies. Le premier ministre australien étant un climatosceptique notoire qui refuse de fermer les industries charbonnières (il a récemment approuvé un projet d'une des plus grandes mines de charbon du monde ), le coupable est tout trouvé. C'est le premier ministre qui est responsable des incendies, et la mesure la plus urgente à prendre est de baisser aussi vite que possible les émissions de CO2 de l'Australie.

Voilà un exemple parfait de ce qu'on peut appeler le "carbocentrisme", et qui peut se résumer en quelques principes simples et universels :

a) toutes les catastrophes liées au climat sont dues au réchauffement climatique induit par le CO2 anthropique (ou RCA). 

b) tous ceux contestant la proposition a) appartiennent à une catégorie de dégénérés mentaux ou de corrompus par l'industrie fossile, appelés "climatosceptiques", qui nient les résultats les plus établis de la science

c) les seules mesures à prendre pour lutter contre les effets du RCA réside dans la diminution de la consommation de fossiles, seule mesure propre à éviter la catastrophe globale menaçant l'humanité. 

Je ne pense pas exagérer en disant que ces principes sont, explicitement ou implicitement, à la base de tous les traitements médiatiques "mainstream" concernant le climat. 

Malheureusement il existe toujours des représentants de la catégorie "climatosceptique"  qui s'acharnent à contester le lien entre RCA et chaque catastrophe. 

Dans le cas des incendies en Australie, qui se sont déclarés à la suite de plusieurs années de sécheresse exceptionnelle, il y a eu un petit grain de sable. Ce grain de sable a pris la forme d'une déclaration, non pas d'un climatosceptique, mais  d'un climatologue tout à fait officiel, le professeur Andy Pitman , directeur du centre d'excellence pour les extrêmes climatiques australien, donc a priori une des personnes les plus compétentes pour parler du problème. Et le professeur Andy Pitman a déclaré ceci,  lors d'une conférence donnée sur l'adaptation de la science climatique pour le monde des affaires,  à la Business school de l'Université 

“…this may not be what you expect to hear. but as far as the climate scientists know there is no link between climate change and drought.

That may not be what you read in the newspapers and sometimes hear commented, but there is no reason a priori why climate change should made the landscape more arid.

If you look at the Bureau of Meteorology data over the whole of the last one hundred years there’s no trend in data. There is no drying trend.  There’s been a trend in the last twenty years, but there’s been no trend in the last hundred years, and that’s an expression on how variable Australian rainfall climate is.

There are in some regions but not in other regions.

So the fundamental problem we have is that we don’t understand what causes droughts.

Much more interesting, We don’t know what stops a drought. We know it’s rain, but we don’t know what lines up to create drought breaking rains.”

 

Traduction (personnelle) : Ce n'est peut être pas ce que vous vous attendiez à entendre, mais pour autant que l'on sache en climatologie, il n'y a pas de lien entre le changement climatique et la sécheresse. 

Ce n'est peut être pas ce que vous lisez dans les journaux ou entendez dans les commentaires, mais il n'y a pas de raison a priori pour que le changement climatique rende les paysages plus arides.

Si vous regardez les données du Bureau de météorologie, sur l'ensemble des cent dernières années, il n'y a pas de tendance à la variation dans les données. Il n'y a pas d'augmentation des sécheresses. Il y a une tendance à l'augmentation ces vingt dernières années, mais il n'y a pas de tendance sur les cent dernières années, et cela montre à quel point la pluviométrie est variable en Australie.

Il y en a dans certaines régions, et pas dans d'autres. 

Donc le problème fondamental que nous avons, c'est que nous ne comprenons pas ce qui cause les sécheresses.

Bien plus intéressant : nous ne savons pas ce qui arrête les sécheresses. Nous savons que c'est la pluie, mais nous ne savons pas ce qui s'organise pour créer des pluies suffisantes pour arrêter les sécheresses.

(L'enregistrement sonore de la conférence est ici, la déclaration a lieu vers 1H11, et l'extrait en question est audible ici).

Et le professeur Pitman a aussi projeté un diaporama dont cette diapositive , où il est clairement énoncé : la science actuelle ne peut pas nous dire quel est le signe du changement dans les sécheresses. 

C'est à dire , tout à fait clairement  : la climatologie n'est pas capable de dire actuellement si le RCA va augmenter, ou diminuer les sécheresses. 

Et ceci s'appuie sur des travaux parfaitement documentés et publiés, dont l'analyse des précipitations depuis le milieu du XIXe siècle dans différentes villes d'Australie (publiée ici ) , qui ne montre effectivement aucune tendance nette sur le siècle des précipitations locales.

Un autre étude publiée dans Geophysical Research Letters montre, à partir de l'analyse des carottes de glaces en Antarctique qui permettent de remonter au régime des vents dans le Pacifique, que l'Australie a connu plusieurs périodes de "méga sécheresses" (8 dans le dernier millénaire) de plus de 5 ans, dont une qui aurait duré 39 ans (!) au 12e siècle, sans le moindre lien bien sûr avec le CO2 anthropique, mais en lien avec des oscillations océaniques de grande ampleur que les modèles climatiques actuels sont bien incapables d'expliquer et de reproduire. 

Il semble que ces déclarations soient parfaitement limpides, mais elles ont déclenché une tempête médiatique et un de ces psychodrames que le débat climatique nous fournit régulièrement. La déclaration a été reprise en boucle sur les sites climatosceptiques et les chaines qui leur sont plutôt favorables. Du coup, une contre-attaque a été organisée avec une déclaration de Pitman disant que ses propos avaient été "mal représentés", qu'il avait commis une erreur en parlant et qu'il aurait dû dire qu'il n'y avait pas de lien direct entre RCA et sécheresses, mais qu'il y avait des liens indirects. Et des articles fleurissent comme dans le Guardian ou Theconversation expliquant à quel point ses déclarations avaient été déformées, que bien sûr qu'il y avait un lien avec le RCA, mais un lien indirect.

Malheureusement ça n'a pas suffi à calmer les climatosceptiques, qui ont fait remarquer qu'ils ne voyaient pas bien ce que ça voulait dire un lien "indirect", et pas "direct", car après tout soit le RCA augmente les sécheresses, soit il ne les augmente pas. Et de prier Pitman de préciser alors quel 'lien indirect" il voyait alors, et sur quelles données, ce à quoi à ma connaissance il n'a pas répondu.

Il faut à ce propos rappeler que ces débats ont eu lieu dans un contexte qui pouvait être tendu par une autre affaire, celle du professeur Peter Ridd, qui a été licencié de son Université (James Cook University) pour avoir soutenu des positions hétérodoxes sur la grande barrière de corail, en expliquant que selon lui, la barrière n'allait pas si mal que ça , et que le blanchiment était une réaction normale lui permettant de s'adapter aux changements, y compris climatique, et en critiquant au passage vertement ses collègues (c'est probablement ce dernier point qui a provoqué son licenciement).  Peter Ridd a obtenu une condamnation de son université à lui verser 1,2 M AU$ en compensation du préjudice subi, mais on peut comprendre qu'Andy Pitman ait pu avoir quelque prudence dans ses propos.

Tout cela est assez loin des conditions d'un vrai débat scientifique ouvert et objectif, bien sûr. 

Mais il y a autre chose : car après tout, si les sécheresses sont récurrentes , pourquoi les incendies de cette année sont -ils si terribles ? 

la réponse "carbocentrique"  sera que cette année, on a battu des records de température en Australie, et qu'il est probable que ces records battus puissent être liés au réchauffement climatique, vu que si les températures moyennes augmentent de 1°C, cela rend plus probable de battre des records. Mais les vagues de chaleurs en Australie en elles-mêmes ne sont pas dues au RC, qui ne fait qu'augmenter un peu leur valeur, mais plutôt encore une fois à des oscillations océaniques déplaçant périodiquement des masses chaudes et froides de part et d'autre des océans Indien et Pacifique (dont la célèbre oscillation El Niño/La Niña mais aussi l'oscillation Pacifique interdécennale ).

Mais est ce que donc 1°C de plus est vraiment l'élément qui explique l'intensité particulière des incendies ?

Ou y a-t-il d'autres facteurs qui pourraient l'expliquer, et en particulier, comme le disent certains, la baisse sensible de la pratique des feux contrôlés qui avaient comme conséquence de limiter la masse combustible en ménageant des zones brulées récemment , et sans arbres, dispersées sur le territoire? 

En effet cette pratique de feux fréquents était traditionnelle chez les aborigènes, pratique qui a façonné le paysage de l'Australie , et qui leur évitait d'avoir à affronter des méga-feux incontrôlables, comme expliqué par Viv Forbes dans ce texte. 

Mais ces pratiques ont été dénoncées par les écologistes activistes comme détruisant des milieux naturels et tuant des animaux (ce qu'elles faisaient certainement, mais bien moins que les gigantesques incendies actuels). Du coup cette pratique a diminué dans les dernières décennies... en augmentant du coup le nombre d'incendies, jusqu'à la situation infernale actuelle.

Il faut savoir aussi que les eucalyptus , les arbres les plus courants des forêts australiennes, sont à croissance très rapide et sont très inflammables. La reforestation sans contrôle provoque donc une accumulation de biomasse propre à déclencher des mégafeux. De plus une certaine idéologie de "retour à la nature" conduit à construire des habitations au milieu de forêts, et les politiques de séquestration de carbone encouragent également à augmenter la surface des forêts.

On comprend que se polariser sur les seules mines de charbon et les émissions de CO2 de l'Australie (qui a bien évidemment un bilan absolu totalement négligeable à l'échelle mondiale, et donc diminuer les émissions de CO2 de l'Australie ne changerait bien évidemment strictement rien au problème des incendies, même au cas - non prouvé donc- où le RCA influencerait ces sécheresses), sans tenir compte des seules pratiques de gestion des forêts qui pourraient avoir, elles, un effet réel sur ces incendies, ou même pire condamner ces pratiques, est une attitude totalement irresponsable. Et, on peut le dire au regard des dommages et des morts causés par ces incendies, une attitude criminelle.

Pour résumer :

Oui, la combustion des fossiles produit du CO2 qui s'accumule dans l'atmosphère.

Oui, ce CO2 provoque un effet de serre qui augmente les températures moyennes sur Terre, et, en particulier, augmente la probabilité de records de température

Oui, cela peut avoir éventuellement un effet sur la gravité des phénomènes climatiques (sécheresses, inondations, ouragans), mais ce lien n'est aucunement automatique et doit être prouvé par des études statistiques soigneuses et approfondies, ce qui n'est aucunement fait dans la pensée carbocentrique

Non, cette augmentation de température n'est pas forcément la seule responsable, ni même la principale responsable, de toutes les catastrophes climatiques se produisant partout sur Terre.

Non le moyen le plus efficace de les combattre n'est pas de diminuer les émissions de CO2 (stratégie d'ailleurs totalement inefficace jusqu'a présent), mais de réfléchir aux mesures d'aménagement du territoire, des sols, et des milieux naturels, les plus aptes à les éviter./

Oui, l'attitude qui consiste à ne considérer que le seul problème du CO2 face aux catastrophes climatiques peut être criminelle, au sens où elle néglige, voire même s'oppose,  à des pratiques qui auraient été bien plus efficaces pour les combattre. 

 

 

 

 

 

 

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commentaires

H
Désolé, mais malgré vos précautions oratoires (enfin, écrites), vous faites malgré tout une simplification abusive dans vos propos et dans votre traduction des propos du Professeur Pitman, au point d'écrire des bêtises. Car ici, le Professeur Pitman ne parle que de l'Australie. Vous semblez parler dans l'absolu, pour le monde entier. Ce qui n'est pas la même chose.<br /> <br /> > C'est à dire , tout à fait clairement : la climatologie n'est pas capable de dire actuellement si le RCA va augmenter, ou diminuer les sécheresses. <br /> Telle quelle, cette phrase est fausse. Il aurait suffi d'y ajouter "en ce qui concerne l'Australie" pour qu'elle soit tout à fait juste.<br /> Car en effet, le Professeur Pitman a raison : *pour l'Australie*, les modèles climatiques ne suggèrent pas, même pour les scénarios d'émissions pessimistes, d'évolution significative, à la hausse ou à la baisse, des précipitations d'ici la fin du siècle. Ou devrais-je dire, pas d'évolution significative du cumul annuel moyen des précipitations : si cette précision complexifie beaucoup ma phrase, elle est d'importance, car avoir des périodes sèches beaucoup plus sèches, et des périodes humides durant lesquelles les précipitations sont plus drues et concentrées dans le temps, peut tout à fait ne pas faire changer la moyenne. Donc une moyenne de précipitations inchangée est tout à fait compatible avec une hausse significative du risque d'incendies durant les périodes sèches de l'année -- notamment accentuée par une évaporation accrue durant ces périodes plus sèches de l'année.<br /> <br /> Ce qui est vrai pour l'Australie n'est pas vrai partout dans le monde. Il existe des régions, ailleurs dans le monde, pour lesquelles les modèles climatiques prédisent de manière assez robuste une baisse notable du cumul moyen de précipitations. Et l'une de ces régions nous touche de près, puisqu'il s'agit du pourtour méditerranéen (sud ET nord). En fait, les modèles s'accordent tous pour suggérer que, en ce qui concerne la France, c'est une grosse partie du territoire métropolitain (et pas juste son fin croissant méditerranéen) qui devrait connaître une baisse de ses précipitations globales, tandis que l'ouest de la Scandinavie devrait, elle, connaître une hausse de ses précipitations globales.<br /> <br /> Que les catastrophes naturelles ou événements naturels qui se produisent sur Terre ne soient pas toutes et tous dues au changement climatique, c'est une évidence (qui s'accorde mal avec le besoin trop souvent constaté d'une pensée simple dans la presse grand public...). Pour autant, il n'en reste pas moins que le climat des 20 ou 30 prochaines années (quelle que soit l'année courante) est pour l'essentiel déjà déterminé par nos émissions de gaz à effet de serre passées, et qu'une stratégie de réduction massive des émissions mondiales de CO2 -- réellement implémentée, pas cantonnée aux discours ! C'est ça, l'échec actuel : passer des beau discours aux actes -- est le seul moyen connu à ce jour pour éviter, dans la seconde moitié du siècle et au-delà, un changement climatique qui rendent la majorité des terres occupées aujourd'hui par les humains impropres à la vie humaine (l'expression est de l'un des rapports du GIEC : "à +6°C, les 3/4 de l'humanité actuelle vivent 12 mois sur 12 dans des conditions impropres à la vie humaine").
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