A l'heure où s'ouvre la 18e conférence de l'ONU sur le climat dans la capitale du (très fossile-intensif) Qatar, et que vont commencer les débats sur la soi-disant "transition énergétique " en France, la Banque Mondiale vient de sortir un rapport alarmant (iste ?) sur les conséquences d'un réchauffement climatique de 4°C ou plus, d'ici 2060. Les titres des médias rendant compte de ce rapport sont assez illustratifs de l'image véhiculée dans le grand public.
Climat : le scénario noir de la Banque Mondiale ("Elle met en garde contre un réchauffement du thermomètre mondial de 4°C dès 2060). (Nouvel Obs et même titre pour Les Echos )
Réchauffement climatique : la Banque Mondiale s'inquiète d'une catastrophe majeure
La banque Mondiale prédit un cataclysme climatique pour 2060 (20 minutes)
La Banque Mondiale redoute le "cataclysme" d'un réchauffement climatique de 4°C (Le Monde)
A la lecture de ces titres et du contenu des articles, le lecteur peu averti ne peut qu'avoir l'impression que la perspective d'atteindre 4°C en 2060 est très probable, sinon inéluctable, et que les conséquences en seraient cataclysmiques. Les lecteurs de ce blog connaissent mon scepticisme sur l'éventualité d'un réchauffement catastrophique au cours du XXI e siècle. Cette annonce est donc une très bonne occasion de se livrer à un exercice de "déconstruction" et montrer comment passer subrepticement d'une éventualité improbable à une quasi-certitude, en accumulant toutes les approximations, exagérations, voire contradictions déjà relevées sur ce blog.
Le rapport lui même est téléchargeable ici, en anglais. Je ne ferai quasiment que me référer à son contenu ou aux détails donnés dans les rapports du GIEC - je ne contredis donc pas ce qui est écrit dedans, je me contente de le lire VRAIMENT - ce qui n'est pas forcément le cas de tous les journalistes.
PREMIER POINT : quelles sont les probabilités réelles que le réchauffement dépasse 4 °C d'ici la fin du siècle, ou même en 2060 ?
Nous avons déjà vus que les prévisions climatiques ne pouvaient être faites que sous l'hypothèses de scénarios d'émission, puisqu'elles ont besoin de connaître la quantité de GES (gaz à effet de serre) émise pendant tout le XXIe siecle. Ces scénarios ont fait l'objet de différentes moutures. Ceux présents dans l'AR4 ont été présentés dans le SRES ("Special Report on Emission scenarios"), contenant une quarantaine de scénarios différents, que nous avons regardés en détail dans un précédent billet. Pour la nouvelle mouture de l'AR5 , les scénarios ont été considérablement simplifiés en résumant leur effet par 4 courbes typiques, non pas en détaillant les émissions et les conditions économiques qui existeraient partout dans le monde , mais simplement en agglomérant le résultat final de tout ça , représenté par le forçage radiatif global évoluant au cours du temps (rappelons que le "forçage radiatif" est l'augmentation du flux de chaleur arrivant sur terre par rapport à la situation préindustrielle). Ces courbes sont maintenant appelées "representative concentration pathways" (RCP) , suivie de la valeur du forçage atteint à la fin du siècle en W/m^2 . Ainsi les modélisateurs ont sélectionnés 4 courbes typiques, notées RCP 3 , 4.5, 6 et 8.5.
Notons la différence de philosophie entre les deux approches : dans l'approche du SRES, les modélisateurs essayaient de prédire les émissions à l'aide de modèles détaillés de toutes les parties du monde, de choix énergétiques, etc .. et en déduisaient ensuite des courbes de foçage global pour les climatologues. Dans la deuxième approche, on se borne à paramétriser le forçage global, en essayent ensuite d'imaginer (eventuellement) à quelle société ça correspondrait, mais en fait les climatologues n'ont pas besoin de savoir le détail des émissions, seul le bilan compte. Quelle est la meilleure approche ? en fait pour les climatologues, seul le bilan suffit, et on peut effectivement penser que les modèles détaillés à la base du SRES avaient très peu de justification, et d'utilité. Mais pour imaginer à quelle société on aurait affaire, il faut revenir aux scénarios détaillés. Néanmoins, un point absolument fondamental doit être souligné : dans aucune de ces approches, on n'affecte une probabilité aux scénarios (ou aux RCP). Ce ne sont que des "storylines", des "what if" - on pourrait tout aussi bien rajouter des scénarios avec invasions d'extraterrestre ou chute de météorite ! dans ces conditions, il est absolument impossible de les qualifier de "probables" ou même de "plausibles", si on n'a pas un estimateur de plausibilité. Mais, j'insiste, cet indicateur de plausibilité n'est nulle part donné, ni dans le SRES, ni dans le rapport de la banque mondiale. Il faut l'estimer à partir d'autres informations, qui n'y figurent pas. Des phrases comme "un rapport publié hier par la Banque mondiale, qui alerte sur le risque élevé que la température moyenne mondiale augmente de 4°C " sont forcément incorrectes, puisqu'il n'existe aucune méthode affichée d'évaluer le risque que ça arrive (à la rigueur il aurait fallu dire "les risques élevés qu'entraînerait une hausse de 4°C").
Quels sont donc les scénarios qui prévoient une hausse de plus de 4°C ? et bien voilà les graphiques figurant dans le rapport :

Evolution des températures dans les différents RCP (source, Rogelj, Meinshausen et al., 2012 voir ref dans le rapport)

Comparaison de différents scénarios et RCP.
On voit que le seuil de 4°C à la fin du siècle ne peut être atteint que dans les scénarios les plus intensifs : A1FI dans la terminologie SRES, ou RCP 8.5, qui correspondent à 1000 ppm à la fin du siècle environ. Or nous sommes actuellement à 400 ppm, avec un rythme d'augmentation d'environ 2 ppm/an. Il faut donc une forte accélération pour y arriver. De fait, dans le scénario A1 FI (en fait A1G -MINICAM) , les consommations annuelles atteindraient (le GIEC donne ses chiffres en EJ soit 10^18 J, 1 Gtep = 42 EJ) :
pour le pétrole : 471 EJ soit 11 Gtep en 2080, puis retomberaient à 248 EJ (environ 6 Gtep) - contre 4 actuellement.
Pour le charbon : toujours croissante à 607 EJ, soit 14 Gtep - contre 3 actuellement
Pour le gaz : plafond à environ 600 EJ soit 15 Gtep par an, contre 2,5 par an actuellement.
On voit donc que dans ces scénarios, la production des différents hydrocarbures seraient plusieurs fois l'actuelle, alors que toutes les réserves prouvées auraient disparu depuis bien longtemps ! ce scénario imagine donc un monde où la production mondiale de pétrole pourraient atteindre 200 millions de baril par jour en 2080, alors que tous les gisements conventionnels de pétrole seraient à sec depuis des décennies ! combien d'Arabie Saoudite y aurait-il avec ce chiffre, et où seraient elles localisées ? mystère. Pareil pour le gaz naturel, dont les réserves ne constituent que 40 ou 50 ans de consommation actuelle au mieux. Et en plus le calcul s'arrête en 2100 mais les consommations ne vont pas s'arrêter brutalement, l'intégrale consommée serait même bien supérieure à celle consommée pendant le siècle. Evidemment personne dans le monde de l'énergie ne croit à des chiffres aussi absurdes. Mais comme on dit familièrement "plus c'est gros, plus ça passe !!"
Le rapport lui même ne quantifie pas les probabilités des différents scénarios, en revanche, il donne des probabilités que les températures atteignent un certain seuil, une fois un scénario donné. Par exemple, dans le paragraphe "How likely is a 4°C world?', il dit ceci :
"The emission pledges made at the climate conventions in Copenhagen and Cancun, if fully met, place the world on a trajectory for a global mean warming of well over 3°C. Even if these pledges are fully implemented there is still about a 20 percent chance of exceeding 4°C in 2100."
Traduction : les engagements climatiques pris aux conventions de Copenhague et de Cancun, si elles étaient complétement remplies, placeraient le monde sur une trajectoire vers un réchauffement moyen bien au-dessus de 3°C. Meme si ces engagements sont complétement respectés,il y a encore une chance d'environ 20 % d'excéder 4°C en 2100".
Il faut réfléchir un peu attentivement à ces phrases pour réaliser la manipulation mentale à l'oeuvre. Première subtilité : les engagements de réduction "placeraient le monde sur une trajectoire" qui devrait dépasser 3°C en 2100. Or les engagements ne sont que jusqu'en 2020, et parfois de vagues promesses jusqu'en 2050. Qu'est ce que c'est que cette notion de "placer sur une trajectoire" ? On voit sur les graphiques ci-dessus qu'il y a très peu de différence entre les scénarios avant 2050. Qu'est ce qui permet d'extrapoler les "trajectoires" après 2050 sur des engagements pris pour 2020 ? RIEN, ABSOLUMENT RIEN. Nous n'avons AUCUNE théorie prédictive de ce qui se passerait après 2050 SI on prenait des mesures en 2020, c'est une grosse farce que de prétendre le contraire . Tout ce qu'ils ont probablement fait, c'est de regarder les scénarios du SRES et de calquer le début des courbes, pour ensuite extrapoler - mais ces courbes n'ont aucune valeur prédictive de l'aveu même de leurs auteurs !! bref, on aurait pu aussi bien demander à des enfants de maternelle de dessiner des courbes ou de prendre des entrailles de volaille, et regarder ce que ça donnait au début , pour en déduire la fin, ça n'aurait eu ni plus ni moins de valeur.
Deuxième subtilité (si l'on peut dire ...) : un scénario d'émission "extrapolé" (selon la méthode précédente) étant donné, il reste à le convertir en température. Or les "probabilités" sur la température sont en réalité calculées avec une statistique sur les résultats des différents modèles climatiques. Là encore, cette méthode n'a strictement pas de justification scientifique. Elle suppose que les modèles sont équiprobables et représentent une probabilité "objective" que les choses se passent ainsi, mais cette manière de voir les choses est tout à fait critiquable. Un modèle est juste ou faux, mais pas "probablement " juste, ou en tout cas personne n'a jamais non plus donné de méthode pour calculer une "probabilité " qu'un modèle soit juste. Il se pourrait tout aussi bien que tous les modèles soient faux, tant qu'ils n'ont pas été réellement validés.
Sous des formules apparemment rationnelles et objectives se cache en fait une pensée irrationnelle et subjective, qui confond des scénarios imaginaires réalisées avec des méthodes inconnues et certainement non validées, avec des estimations objectives de probabilités.
Passons maintenant aux conséquences d'un réchauffement de 4°C. Le rapport liste consciencieusement la liste de tous les problèmes prévus dans la multitude d'articles qui paraissent sur le sujet : montée des eaux, sécheresses, canicules, inondations, mauvaises récoltes, etc, etc .. tout y passe. Il est très plausible qu'une montée des températures provoque un certain nombre d'inconvénients, voire des catastrophes (pour le réaliser, il suffit de réfléchir à la probabilité inverse : qu'un RC ne provoque AUCUN inconvénient nulle part). Je ne vais pas discuter de la précision et de la fiabilité des modèles, tout le monde s'accordera pour leur accorder une certaine marge d'incertitude, mais néanmoins le risque existe. Mais ce qu'oublie totalement le rapport, comme tous les articles sur le sujet, c'est de rappeler que la croissance de consommation de fossiles s'accompagne obligatoirement d'une croissance très grande de la richesse mondiale. Pour le scénario A1 FI, le PIB / habitant du monde passserait de 5500 $(1990) par habitant en 2010 à 73 000 $(1990) par habitant en 2100, soit une multiplication par 15 de la richesse moyenne. Pour la zone dite "ALM" , agglomérant l'Afrique, l'Amérique Latine et le Moyen Orient, des régions en général considérées comme les plus fragiles face au RC, la croissance ferait passer d'un PIB moyen de 2400 $/hab en 2010 à 68 000 $/hab en 2100, alors que l'OCDE passerait lui de 26 000 $/hab en 2010 à 105 000 $/hab en 2100.
Autrement dit dans ce monde, non seulement les inégalités se seraient considérablement réduites, en passant d'un facteur 10 actuellement à un facteur 1,5 entre les pays les plus pauvres et les pays riches, mais la richesse globale aurait tellement augmenté que les pauvres de 2100 seraient plus de deux fois plus riches que les riches de 2010 !! tout ceci dans un ruissellement de fossiles qui permettraient probablement de vivre aussi confortablement que les américains du Névada ou les saoudiens, au milieu d'un désert. Avec des fossiles et de l'argent, on peut tout faire, se proteger contre les ouragans, dessaler l'eau de mer, faire de l'agriculture intensive, et même reconstruire des villes ailleurs si la mer monte un peu trop, après tout toutes les villes modernes que nous connaissons n'ont pris que quelques décennies à prendre leur forme actuelle.
Il y a d'autres détails intéressants dans les scénarios : par exemple dans l'utilisation des sols, on s'aperçoit que les pays pauvres réduiraient drastiquement les surfaces cultivables, surement par augmentation très sensible de leur productivité. Cela veut dire qu'on pourrait bien supporter une réduction sensible des surfaces (à supposer qu'elle arrive), sans que cela ne conduise à des famines. En fait il n'est jamais clair dans les prévisions des impacts cilmatiques si on tient compte des modifications énormes des potentiels d'adaptation par l'augmentation de la richesse : on s'apitoie la plupart du temps sur l'impact sur les "populations pauvres", en oubliant que les pauvres auraient en fait essentiellement disparu, tout simplement parce que pour consommer beaucoup de fossiles, il faut etre très riche !!!
Bref le tableau final est celui d'un rapport faisant des extrapolations indues de consommations de fossiles, pour oublier ensuite les conséquences économiques bénéfiques qu'auraient cette consommation sur la richesse et ne regarder que des inconvénients,en eux même incertains. Ce rapport est une illustration magnifique de mon diagnostic sur le discours climatique, qui s'appuie selon moi sur trois piliers :
* des modèles climatiques incertains
* des réserves de fossiles improbables
* des théories économiques absurdes.
Bien sûr, la banque mondiale oublie, comme bien d'autres, que la crise actuelle nous montre que nous serons bien loin d'un tel monde, et que, bien plus probablement, l'essentiel des problèmes du XXIe siècle viendront des difficultés économiques entraînées par la limitation des fossiles, et non pas de leur excès.