Posée comme ceci, la question amène une réponse évidente : évidemment que oui, étant donné que des milliards d'hommes l'ont fait !
La vraie question est plutôt : peut-on conserver un niveau de vie comparable au nôtre sans pétrole ? Et là, la réponse est bien moins évidente.
Dans le cadre de la réflexion sur la transition énergétique, un rapport de l'ADEME est en préparation, dont un résumé a été rendu public et peut être consulté ici. Dans cette exercice de prospective, l'ADEME présente un scénario où en 2030, on pourrait atteindre une baisse de 20 % de la consommation énergétique en France, grâce essentiellement à un gros effort sur le logement en améliorant considérablement l'isolation, pour baisser les besoins en chauffage.
Puis à l'horizon 2050, on pourrait atteindre 50 % d'économies, grâce à des efforts sur les transports, essentiellement par le développement de l'autopartage, l'introduction de véhicules électriques et hybrides, l'emploi plus grand de transports en commun et la généralisation du télétravail. La France aurait même la capacité de se passer totalement de pétrole en 2050 grâce au développement de la méthanisation permettant de faire fonctionner des véhicules au biogaz, neutre en CO2. Dans le scénario, le taux de croissance économique reste soutenu à 1,8 % /an, et donc on pourrait aboutir finalement à une multiplication par un facteur 2 du PIB tout en réduisant par 4 la production de CO2 (soit une réduction par un facteur 8 de l'intensité carbonée en 40 ans). Ce scénario est proche de celui présenté par l'association Negawatt, qui obtient aussi une réduction substantielle de la consommation énergétique et du CO2 par des efforts sur la consommation de l'habitat et des changements de comportements sur les transports.
Dis comme cela, cette perspective fait rêver. Ainsi, les solutions aux problèmes énergétiques sont à notre porte, il suffirait de quelques efforts d'adaptation pour y arriver ?
Ce scénario est-il vraiment crédible? j'ai pu discuter avec un de ses auteurs, que j'ai le plaisir de connaître, et j'avoue rester quelque peu dubitatif. Il y a en effet un certain nombre de contradictions qui m'apparaissent dans ce scénario. Techniquement, les solutions ont été soigneusement étudiées et sont crédibles. Le problème essentiel que j'y vois est le couplage aux contraintes économiques. D'abord, la croissance de 1,8 % par an est donnée comme une contrainte macroéconomique globale, imposée par le cadrage ministériel. Comme les scénarios du GIEC, cette contrainte est incontournable. Politiquement, un gouvernement ne peut pas faire une autre hypothèse que la croissance. Il est donc impossible d'étudier même la possibilité que ce ne soit pas le cas, puisque ce n'est pas une option.
Le problème, c'est que le scénario prévoit à la fois un enrichissement de la population (qui serait en gros deux fois plus riche que maintenant), et une restriction de ses consommations : les gens feraient plus d'effort pour partager leur voiture, renonceraient aux voitures à pétrole pour des engins moins commode (gaz ou électriques). L'argument est que le pétrole serait alors très cher (le scénario table sur un prix de 134 $ en 2030 et 230 $ le baril en 2050 suivant les projections de l'AIE).
Le problème c'est que les scénarios de l'AIE ont été établis en supposant une demande soutenue en pétrole, le prix élevé étant alors nécessaire pour rendre des gisements rentables, alors qu'ils ne l'étaient pas avant. Mais le scénario prévoit exactement le contraire , qu'on ne ferait plus appel au pétrole. Alors certes c'est un scénario français et pas mondial, mais on ne voit pas très bien pourquoi seuls les Français se mettraient à modifier toutes leurs consommations à contre courant du reste du monde. Logiquement donc, si la demande de pétrole baisse, le prix d'équilibre offre demande devrait baisser aussi et le pétrole ne serait plus si cher que cela, pas plus que maintenat comme le montre les différentes courbes de l'AIE (je dois préciser qu'il faut avoir une confiance très relative dans ces courbes, l'AIE ayant prouvé de nombreuses fois son incapacité totale à faire des prévisions fiables même sur le moyen terme).
Différents scénarios de prix suivant la demande (source : World Energy Outlook 2010, AIE).
L'avantage de s'en passer ne serait alors plus aussi évident, d'autant que ne l'oublions pas, la richesse globale est censée avoir beaucoup augmenté. Notons que même avec le scénario dépletionniste des réserves prouvées, il resterait quand même une production notable de pétrole en 2050. Le scénario ne s'occupe d'ailleurs que du pétrole consommé dans les transports intérieurs, mais pas à l'échelle internationale ni dans les transports aériens. Cela suppose donc qu'une certaine quantité de pétrole reste disponible à un coût raisonnable, et du coup, personne ne demande à s'en passer complètement.
Un deuxième problème est que si les gens baissent leurs consommations d'une manière générale, on ne voit plus trop d'où viendrait la croissance : la croissance, c'est quand même la richesse et donc la consommation des gens. Si ils achètent moins de voiture, évitent de partir en voyage, sont plus raisonnables dans leur consommation de viande, que feront -ils de leur doublement de salaire ? si les gens veulent de la croissance, c'est pour gagner plus d'argent, et donc pour plus consommer ! sinon, à quoi sert -elle ?
Un troisième problème lié au précédent est que le scénario ne se préoccupe pas de l'impact économique du coût de ces mesures. Isoler sa maison, par exemple, ça peut coûter assez cher. Qui va le payer? les particuliers? l'état? dans tous les cas, la somme consacrée à l'isolation sera retirée d'autres consommations, et donc baissera mécaniquement l'activité du pays.
En résumé le scénario décrit une situation possible techniquement, mais improbable économiquement. Pour que le PIB continue à augmenter, il faudrait changer fortement son contenu énergétique, c'est à dire dépenser de plus en plus d'argent à des activités peu coûteuses en énergie tout en renonçant à celles plus coûteuses. Pour caricaturer, il faudrait que les gens de 2050 acceptent de payer très cher des jeux videos en acceptant de faire un effort pour ne plus avoir de voiture et partager avec celle du voisin. Ce n'est pas matériellement impossible (après tout la valeur que nous accordons aux choses est essentiellement subjective et peut changer !), mais c'est pour moi humainement improbable.
Il est donc pour moi peu probable qu'on puisse allier logiquement baisse de la consommation et croissance économique. Et il est également improbable que ces baisses de consommations (qui sont à mon avis inévitables de toutes façons) se fassent volontairement parce que les gens décident que leur argent ne doit pas servir à avoir une voiture individuelle, une maison plus grande, etc ... Ceci dit bien évidemment des gains d'intensité énergétique (en particulier sur les logements ) sont possibles et souhaitables. Mais ils risquent d'être annihilés au niveau mondial par l'appétit des pays en développement qui font pression sur les ressources, et conduiront de toutes façons à des crises économiques, la décroissance de l'Occident se faisant sous cette pression. Ce n'est malheureusement pas le fait d'isoler son logement ou de partager sa voiture qui fait retrouver un emploi bien payé : c'est au mieux, une adaptation par force à des contraintes économiques.
Inversement, les hypothèses énergétiques retenues dans le scénario (division par 4 des émissions de CO2 et suppression de la demande pétrolière) me paraissent inutilement sévères par rapport au panorama mondial : je pense donc très improbable que ce scénario se réalise. Cela demanderait, comme nous l'avons dit, une réduction par 4 de l'intensité énergétique Bien plus probablement, la consommation d'hydrocarbures restera supérieure à ce que prévoit l'ADEME, mais la richesse sera inférieure et la croissance ne sera plus là. C'est évidemment dans ce dernier point que résident les vraies problèmes, puisque comme on le voit actuellement, l'absence de croissance signifie concrètement des difficultés économiques de tout ordre, des arbitrages à faire, et des restrictions inévitables sur la population (mais encore une fois, ces restrictions sont la seule possibilité réaliste de faire baisser la consommation selon moi). En oubliant le volet économique (mais ce n'est pas son travail, pas plus que celui du GIEC), l'ADEME manque le principal message qu'il faudrait faire passer aux politiques : c'est que la situation de croissance économique continue à de grandes chances (ou de grands risques) de se terminer prochainement, et elle est d'ailleurs peut être déjà terminée, et qu'il faudra de toutes façons affronter les conséquences sociales de ces crises - les préoccupations du "zéro carbone" devenant alors secondaires, dans ce contexte.