Nous allons maintenant aborder un sujet de plus en plus miné : la modélisation du climat et ses prédictions associées. Tout le monde connait les controverses passionnées sur le sujet, qui ont mis en scène des scientifiques très médiatiques . J'avoue avoir eu beaucoup de mal à choisir le ton exact de mes posts, mon souci étant de rester aussi près que possible de la démarche scientifique. Or mon expérience est que c'est quasiment impossible sur le sujet : chaque expression d'une position est invariablement "interprétée" dans le cadre d'un rattachement à telle ou telle position idéologique. J'essayerai d'être donc aussi objectif que possible, en présentant ce que je pense justifié, mais également mes doutes sur la façon dont des résultats souvent partiels et incertains sont immédiatement "recyclés" en certitudes quand ils diffusent dans le public. Car en réalité, pour moi, le problème n'est pas tant dans la science climatique elle même, qui est une science "normale" dans les critères communs aux autres ("normale" ne signifiant absolument pas, tout comme pour les individus, "idéale et sans reproche"). Il est dans la façon dont une démarche scientifique est "recyclée", métabolisé dans la société par un discours essentiellement politique et idéologique, qui ne peut supporter des incertitudes.
De quoi s'occupe donc la climatologie ? essentiellement, de comprendre comment fonctionne le climat terrestre, c'est à dire pourquoi fait-il plus ou moins chaud ou froid ici où là, pourquoi pleut-il ou a-t-on des déserts ici ou là, pourquoi y a-t-il de la glace ou non...
Inutile de dire que c'est un problème extrêmement complexe, devant en prendre en compte une multitude de facteurs physiques, chimiques, et même biologiques. Disons le tout de suite : malgré l'immensité de nos connaissances, nous sommes très loin de pouvoir modéliser de façon assez exacte un système comme la Terre pour prédire avec certitude tout ce qui se passe et va s'y passer à la surface. J'insiste sur ce point parce qu'il m'apparait, au cours des discussions que j'ai autour de moi, qu'il y a en général une perception approximative dans le grand public de ce que sait et ne sait pas faire la Science, et de ce que nous savons ou ne savons pas. Je peux d'ailleurs moi-même me tromper sur certains points, je préfère le dire tout de suite ! Je ne suis pas climatologue, je ne présenterai que l'état présent de ce que j'en ai compris. Il y aura sans doute des lecteurs plus compétents pour me corriger à l'occasion, et je les en remercie. J'insiste encore, ce blog n'est PAS destiné à défendre un camp plutot qu'un autre, il est l'occasion d'exprimer l'avis d'un scientifique sur des domaines qui ne sont pas les siens, mais qui le concerne en tant que citoyen.
Donc que sait-on faire ou pas, en climatologie ?
On sait décrire les grands mouvements d'énergie et de matière, les blians globaux entre l'atmosphère et l'océan. Mais nous n'avons pas une explication très précise des détails, à la précision où nous savons les mesurer. Par exemple, les instruments mesurent la température moyenne de la Terre à quelques dixièmes de degré près (c'est l'ordre de grandeur des variations d'une estimation à l'autre). Mais les modèles sont bien incapables d'expliquer cette valeur avec cette précision, c'est à dire de faire un gros calcul par ordinateur qui nous redonne le bon résultat, à quelques dixièmes de degré près. L'incertitude est plutot de plusieurs degrés. Nous avons une explication qualitative des mouvements à grande échelle de la circulation océanique, mais nous sommes très loin de savoir la décrire dans le détail, et ses possibles variations à grande échelle dans le passé. Nous savons expliquer pourquoi il y a des zones équatoriales humides, des zones tropicales sèches, des zones tempérées humides, des zones polaires froides, mais nous sommes bien incapables de prévoir année après année où il va pleuvoir et où il y aura des sécheresses.
A l'inverse, sur des courtes périodes de temps, nous avons un certain pouvoir prédictif assez précis , mais limité à des périodes assez brèves. C'est la base des prédictions météo. La mesure précise de l'état de l'atmosphère par toute une panoplie d'instruments au sol et de satellites permet de calculer avec une précision raisonnable son évolution sur quelques jours, quelques semaines au mieux pour les grandes masses. Mais le caractère chaotique des mouvements atmosphériques empêche d'avoir un pouvoir prédictif au-delà de cette période.
Au total donc, comme toute science, nous avons un noyau de choses bien comprises , une frontière grise de choses approximatives, et des territoires inconnus où nous ne savons pas dire grand chose. Bref, comme je disais , une science normale ....
Mais une science dont les résultats ont pris une importance énorme dans la société, et c'est là que le bât blesse. Parce que les décideurs ne peuvent se satisfaire des incertitudes, ils ont besoin de décider. La question centrale est donc : les résultats des modèles climatiques sont-ils assez précis pour que nous puissions en déduire réellement ce qu'il faut faire ?
le discours dominant chez les climatologues et dans la société parait répondre : oui. J'essayerai d'argumenter que selon moi, la réponse est : non. Ce qui ne signifie naturellement pas que les climatologues ne sont pas sérieux et qu'ils ne connaissent pas la physique (angle d'attaque de nombreux "sceptiques", à mon avis non justifié), mais que la réalité est bien trop complexe pour que les prédictions puissent nous permettre de déterminer une "meilleure" attitude à suivre.