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Nous allons maintenant aborder l'explication de l'effet de serre, qui est un peu compliqué à expliquer et à comprendre (il y a encore des controverses sur sa nature même, et les climatosceptiques utilisent souvent des arguments de mauvaise foi pour le nier - ce qui ne veut pas dire non plus que toutes les critiques sont infondées, j'y reviendrai). 

Nous avons vu que la Terre, si elle rayonnait comme un corps noir, devrait avoir une température moyenne d'au plus - 20 °C, très différente de celle observée. Pour comprendre la différence, il faut aller un peu plus loin et s'interesser à ce qu'on appelle la distribution spectrale de rayonnement, et non simplement à la puissance totale émise. 

 

Si la Terre rayonnait comme un corps noir, la distribution spectrale devrait être la suivante : une partie vient de la lumière du Soleil pratiquement entièrement réfléchie par l'albedo (en fait avec quelques distorsions donnant une "couleur" différente, par exemple l'eau bleue ou la végétation verte), donnant une partie du spectre visible, de courte longueur d'onde (Short Wavelength Radiation ou SWR en anglais), qui fait que la Terre brille comme les autres planètes ou la Lune. Cette partie représente énergétiquement l'albedo, donc environ 30 % du rayonnement. Les 70 % restant devraient etre un spectre de corps noir à la température de la Terre , soit pour une Terre isotherme, un corps noir à - 20 °C, ou plus précisément, une superposition de corps noirs à la température des différents points. Globalement la loi de Wien donne une distribution spectrale autour de 10 à 15 micromètres (10 millièmes de mm) caractéristiques d'un corps entre 200 et 300 K. C'est donc un rayonnement dans l'infrarouge, de plus longue longueur d'onde (Large Wavelength radiation ou LWR )  . Cette distribution devrait etre une courbe en cloche assez régulière. Le spectre total émis par la Terre serait donc la superposition du rayonnement solaire réfléchi dans le visible, de courte longueur d'onde, et du rayonnement thermique propre de la Terre, dans l'infrarouge, de grande longueur d'onde : un chameau à deux bosses. Autrement dit le spectre devrait ressembler à ça :

 Corps-noirs

Spectres de corps noir théoriques pour la lumière solaire réfléchie (à gauche) et le rayonnement infrarouge thermique de la Terre (à droite).Source: Richard Tuckett, Climate change: observed impacts on planet Earth

 

 Par conservation de l'énergie, l'ensemble de la puissance émise par ces deux bosses doit compenser presque exactement la puissance incidente sur la Terre - presque exactement parce que si le contenu énergétique de la Terre varie (ce qui est le cas dans un réchauffement), il peut y avoir un très léger déséquilibre. En ordre de grandeur, l'estimation actuel du déséquilibre correspondant au réchauffement climatique est de l'ordre de 1 W/m^2 sur 1360, donc moins de 0,1 %.

 

 

Mais en réalité , le spectre émis dans l'infrarouge est très différent de celui d'un corps noir: voilà à quoi ressemble le spectre émis par la Terre vue de l'espace, dans l'infrarouge.

 

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Exemple de spectre émis par la Terre en infrarouge, vu par un satellite (Source de l'image)

Les pointillés représentent les lois du corps noir à différentes températures, et la courbe chaotique le spectre réel. Manifestement, ce dernier est très loin d'un corps noir. On voit de nombreux "creux" , ce que les physiciens nomment des "raies d'absorption".

 

Pourquoi ces raies ? elles sont précisément dues à la présence de molécules de certains gaz dans l'atmosphère, les fameux gaz à effet de serre, que nous appellerons GES dans la suite. Ces gaz sont composés de molécules à trois ou plus d'atomes : la vapeur d'eau H20, le dioxyde de carbone CO2, l'ozone O3, le méthane CH4, etc ... Chaque "raie" est due à un des gaz, noté sur le graphique, mais elle peuvent aussi se recouvrir partiellement. Ces molécules sont comme des billes attachées par des ressorts qui ont une certaine flexibilité et peuvent vibrer de différentes  façons. La mécanique quantique nous dit qu'elles sont capables d'absorber des photons (donc du rayonnement) dont la fréquence correspond exactement à celle d'une de leur vibration. Elles peuvent également changer d'état rotationnel , et peuvent faire tout un tas de transitions correspondant à différents états vibrationnels et rotationnels, ce qui les fait absorber à un ensemble de fréquences possibles; chaque molécule sera ainsi caractérisée par une sorte d'empreinte digitale qui lui est propre, son "spectre d'absorption" (cette propriété découverte au XIXe siecle, et utilisée bien avant qu'on sache l'expliquer par la mécanique quantique, est à la base de ce qu'on appelle la "spectroscopie"  qui est d'une importance essentielle dans toutes les études de la matière). Il se trouve que les fameux "gaz à effet de serre " (GES) sont précisément ceux dont le spectre d'absorption présente des raies dans la partie de l'infrarouge thermique émis par la Terre, au voisinage de 10 micromètres. 

La présence de ces gaz va faire que les photons rencontrent beaucoup d'obstacles avant de sortir de l'atmosphère : ils seront constamment absorbés par des molécules , mais seront aussi réémis. la présence de ces gaz va donc gêner considérablement le parcours des photons vers l'espace, et qui plus est , un certain nombre seront renvoyés vers le sol. 

Je vais prendre l'analogie suivante. Je suppose un jeu dans lequel on fait rentrer des gens à un rythme constant dans une pièce, et on les fait sortir par une porte en leur bandant les yeux (c'est plus drole ) et en leur demandant de traverser une cour avant de sortir. Si il n'y a aucun obstacle, il sont raisonnablement capables de traverser la cour en ligne droite (il n'y a pas de barrière à la sortie) et le jeu n'est pas très amusant : il y a en permanence autant de gens qui sortent que de gens qui rentrent dans la pièce au départ.

 

Maintenant imaginons qu'on parsème la cour de mares de boue gluante dans laquelle ils s'empêtrent un moment avant de repartir, en général dans n'importe quelle direction vu les efforts qu'ils ont fait pour en sortir. Vous aurez une image à peu près correcte de l'effet des molécules de GES. Le résultat est d'une part qu'il y aura bien plus de gens dans la cour à un moment donné, parce qu'ils y restent plus longtemps, et même il y aura plus de gens dans la pièce parce que certains y retourneront aléatoirement après s'être complétement perdus. La densité de gens va donc augmenter, mais à partir d'un certain moment il y aura autant de gens qui trouveront la sortie que ceux qu'on fait rentrer dans la piece. Il est important de réaliser que mettre des obstacles dans la cour augmente la densité de gens, mais ne changera finalement pas le rythme auquel il s'en échappent. 

 

Cependant la situation de l'atmosphère est plus compliquée. La première chose, c'est que les photons ne sont pas tous sensibles à l'absorption. Pour reprendre l'analogie, c'est comme si certains joueurs étaient munis d'échasses leur permettant de traverser sans probleme les mares de boues, et continuaient à traverser la cour sans même se rendre compte de leur présence. C'est l'équivalent des longueurs d'onde où l'atmosphère est transparente (à noter que ces "fenêtres" sont très utiles aux astronomes qui peuvent ainsi "voir" à travers dans l'atmosphère dans l'infrarouge, alors que dans les raies d'absorption, ils sont dans le brouillard complet). La présence d'une absorption différente suivant la longueur d'onde va donc moduler le spectre et gêner plus certains rayonnements que d'autres.

 

La seconde complication est que contrairement aux gens, le nombre de photons ne reste pas constant. Ils sont en effet constamment absorbés et réémis par les molécules, ils ne sont pas juste "stockés" comme des gens dans une pièce: ils disparaissent réellement et réapparaissent aléatoirement. Ca semble donc très compliqué à décrire, mais fort heureusement, les lois de la mécanique quantique et de la thermodynamique nous prédisent une chose extraordinairement simple : quelle que soit la situation, le nombre de photons présent doit tendre vers celui prédit par le rayonnement de corps noir à la température locale de la matière avec laquelle ils interagissent. 

Lorsque les photons interagissent de nombreuses fois avec la matière, le milieu est dit optiquement épais (c'est le cas du brouillard ...). Dans ce cas les photons ont une densité d'énergie très proche de celle du corps noir, et ils finissent par s'échapper avec une intensité caractéristique de la température à la surface dite de dernière diffusion, c'est à dire l'endroit où en moyenne , ils interagissent pour la dernière fois avant de s'échapper. Si les absorptions sont peu nombreuses, le milieu est dit optiquement mince, et les photons gardent l'intensité qu'ils avaient au départ. Ce phénomène est fondamental pour comprendre l'existence des raies d'absorption ou d'émission. Si on a une source de rayonnement en arrière plan, et un milieu qui est optiquement épais à certaines longueurs d'onde, mais pas à d'autres, si ce milieu est plus froid que la source initiale, il produira des raies en absorption, dans les longueurs d'onde où il est optiquement épais,  et si il est plus chaud, des raies en émission. 

 

Dans le cas de notre atmosphère, la surface de dernière diffusion est située très haut dans l'atmosphère dans les raies des GES, alors qu'elle est bien plus basse (voire même , au sol) dans les autres longueurs d'onde. Or l'atmosphère est de plus en plus froide quand on monte : l'intensité du rayonnement dans les raies est donc plus faible parce que les photons proviennent d'une partie supérieure plus froide que ceux qui s'échappent directement du sol. C'est donc la différence, ou gradient de température,  entre le sol et le haut de l'atmosphère qui est fondamental : dans une atmosphère isotherme, il n'y aurait pas de raies (malgré la présence des GES ! ). Notons que cette différence de température est entretenue à la fois par le rayonnement, les couches plus basses recevant plus de rayonnement des couches supérieures que les hautes, et par les mouvements de convection qui brassent la partie inférieure de notre atmosphère, la troposphère (là où tous les phénomènes météo, les nuages, etc... se forment). En effet les mouvements de convection ascendante provoquent une baisse de pression et une détente du gaz, qui se refroidit en même temps. Au dessus de la troposphère, et séparée par une surface appelée tropopause, on trouve la stratosphère où la convection est bloquée. Parce qu'elle est essentiellement optiquement mince et chauffée directement par les UV du Soleil, la stratosphère est quasiment isotherme dans sa partie inférieure, puis la température augmente avec l'altitude quand l'influence du chauffage par les UV solaires devient de plus en plus important. Dans la stratosphère, le CO2 a un effet refroidissant car les photons ne sont plus piégés : au contraire, le CO2 sera chauffé par collision et réemettra de l'énergie sous forme de photons. Une augmentation de CO2 va donc refroidir la stratosphère (ce qui a été effectivement observé). . 

Nous pouvons donc finalement comprendre l'effet de serre comme un piégeage momentané des photons, l'atmosphère les laissant finalement s'échapper avec une intensité inférieure à celle qu'ils avaient au sol. Mais le bilan énergétique doit etre équilibré : ceci impose que l'émission des photons du sol doit se faire à une température supérieure , ce qui peut se comprendre puisque le sol est également "chauffé" par les photons réémis vers l'arrière. Ainsi, l'effet de serre "réchauffe" le sol, et donc augmente l'intensité en dehors des raies, et réduit cette intensité dans les raies. Le bilan est finalement une température au sol nettement supérieure à celle qui est évaluée sans GES, mais pour une puissance totale finalement identique ...

Reste à calculer exactement cet effet. Et là, c'est loin d'être simple ....

 

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