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11 juin 2012 1 11 /06 /juin /2012 13:55

Dans une actualité climatique plutôt calme (il semble que le sommet de Rio+20 n'attire pas vraiment la passion des commentateurs, qui sont plus concernés par les mauvaises nouvelles économiques de la zone euro, que par un nième sommet dont il apparait de plus en plus qu'il ne servira pas à grand chose), une petite polémique est arrivée autour d'un nouvel article tendant à "prouver" la réalité du changement climatique. Cette publication (J. Gergis, R. Neukom, S.J. Phipps, A.J.E. Gallant, and D.J. Karoly, "Evidence of unusual late 20th century warming from an Australasian temperature reconstruction spanning the last millennium", Journal of Climate, 2012) , annoncée en particulier sur Realclimate, a connu une drôle de mésaventure. Un lecteur du site "climatosceptique" (ou , je préférerais dire, "climatocritique") ClimateAudit a signalé qu'il ne parvenait pas à retrouver les résultats de la publication. Après vérification, il s'est trouvé que les auteurs n'avaient pas suivi la méthodologie qu'ils avaient eux même décrite, et du coup leurs résultats étaient faux (ou du moins pas conforme à ce qu'ils annonçaient). Le problème a été jugé suffisamment grave pour que la publication soit momentanément retirée du journal, ce qui est exceptionnel (il y a parfois des errata mais il est très rare qu'une publication soit supprimée, même momentanément, après parution).

 

De qui s'agit-il? l'article offre une nouvelle version d'une reconstruction des températures passées en utilisant des "proxies", c'est à dire des indicateurs indirects de température pour remonter aux températures d'avant le XIXe siècle, époque où les thermomètres ont commencé à être largement utilisés. Auparavant, on a peu ou pas de mesures instrumentales, et il faut recourir à des indicateurs indirects, qui peuvent être très variés : cernes d'arbres, sédiments organiques, teneurs isotopiques.. voire date des vendanges ou de floraison. Ces différentes quantités sont plus ou moins corrélées avec la température, et l'idée est qu'en en prenant un nombre suffisant, leur moyenne donnera une indication fiable des températures passées.

Spécifiquement, les auteurs ont utilisé des proxies pour reconstruire les températures de l'Australie depuis 1000 ans, en publiant cette figure

http://www.realclimate.org/images//GergisFigure4.jpg

Cette figure montre la forme caractéristique dite de "crosse de hockey", célèbre depuis la première figure publiée par Mann et al. en 1998, avec une montée rapide au XXe siècle semblant bien plus nette que les variations des siècles passées, ce qui est censé prouver que l'influence anthropique cause des variations sans précédent dans l'histoire depuis 1000 ans.

Cependant, les méthodes statistiques utilisées pour produire ce genre de courbes ont fait l'objet d'une vive et longue polémique, principalement entre les climatologues et l'auteur du blog ClimateAudit, Steve McIntyre, qui a travaillé avec un économiste, McKitrick, pour montrer que les résultats de Mann et al. étaient entachés de bien plus d'incertitude que ce qu'il prétendait. Ces deux auteurs n'étant pas climatologues (l'un est ingénieur retraité des mines et l'autre économiste),  mais néanmoins versés en statistiques, cela a conduit à l'une des controverses les plus spectaculaire du débat climatique, chaque camp accusant l'autre d'incompétence.

D'où vient le problème selon McIntyre et McKitrick? sans entrer dans les détails techniques, je vais essayer de l'expliquer (en tout cas comme je l'ai compris). Un "proxy" n'est pas une mesure directe de température T. C'est un indicateur d'une autre quantité, par exemple l'épaisseur , ou la densité d'un cerne d'arbre, ou tout autre quantité utilisée. Soit X cette grandeur. Il faut donc à un moment ou à un autre , convertir cette quantité X en une température T. Pour cela, on a forcément besoin de déterminer un coefficient de proportionnalité entre la variation de X et la variation de température (par exemple 1 mm de plus = 1°C , ou 2°C , etc..). Bon mais comment déterminer ce coefficient ? 

La façon la plus sensée, et en fait la seule utilisable, c'est d'utiliser une période où on peut mesurer à la fois X et T, et calibrer l'un en fonction de l'autre. Evidemment, cette période ne peut être que la période moderne, celle où on mesure à la fois les températures et X. La manière la plus simple est de porter alors T en fonction de X, et de déterminer la pente par une regression linéaire entre les deux. A priori cette méthode semble censée, et satisfaisante.

Où est le "hic" ? le "hic" est le suivant. Dans la mesure où on établit le coefficient par une comparaison entre X et T, forcément, et par construction, la courbe des températures est bien reproduite par la courbe des proxies dans la période de calibration. C'est forcé, puisque on a ajusté l'une sur l'autre "au mieux". Notons aussi que pour considérer que le proxy est un "bon" proxy, on va forcément lui demander d'être bien corrélé aux températures. C'est logique, puisque si il n'était pas corrélé aux températures, on ne considérerait pas que c'est un bon indicateur. Tout cela paraît du bon sens ... mais le diable est dans les détails. En effet SI le proxy variait pour une autre raison que la variation de T, mais "dans le bon sens", alors on penserait que c'est un bon indicateur, et on le garde dans l'échantillon ... mais rien ne dit que c'est VRAIMENT un bon indicateur, et en particulier que la corrélation reste bonne dans le passé ! 

Autrement dit la procédure sélectionne automatiquement les proxies dont la corrélation avec T est bonne dans le présent, mais n'assure nullement que ce soit vrai dans le passé. Que se passe-t-il alors si on "pollue" l'échantillon avec des mauvais proxies ? ces mauvais proxies ne vont pas perturber la courbe récente, en revanche, ils vont aléatoirement varier dans le passé, ce qui fait qu'en en faisant la moyenne, on aura facilement une courbe "plate" dans le passé, alors qu'elle sera bien montante dans le présent (ce qu'on appelle techniquement une"perte de variance" dans le passé). Bref, une belle crosse de hockey .... même avec des indicateurs faux ! en particulier McIntyre et McKitrick ont montré qu'ils pouvaient retrouver une crosse de hockey avec des "proxies" totalement faux (générés aléatoirement) mais sélectionnés sur le fait que par hasard ils variaient correctement dans la période (moderne) de calibration. Ceci explique aussi que la montée moderne paraisse bien plus "précise" que le reste de la courbe.

Evidemment, ça ne prouve pas que la courbe soit fausse; ça la rend juste ..douteuse. S'en est suivi une décennie de polémiques pour savoir si ce phénomène était marginal , ou fondamental. Dans la foulée, McIntyre a scruté en détail plusieurs proxies utilisés par les climatologues (dont les cernes d'arbres des "bristlecones" , ceux de la région de Yamal) pour montrer que les échantillons retenus étaient douteux. Dans un cas (les sédiments d'un lac finlandais publiés dans Tijlander et al..), il a même repéré que le proxy variait en sens inverse à l'époque moderne , par rapport au passé : en effet normalement les périodes chaudes correspondait à une teneur plus grande en matière organique, et plus faible en matières minérales (ces dernières étant analysées aux rayons X). Mais à l'époque moderne, probablement à cause des travaux de voirie autour du lac, une pollution minérale avait augmenté la teneur , alors que l'époque se réchauffait. La non prise en compte de ce phénomène a conduit à calibrer le proxy avec le mauvais signe, ce qui l'a "retourné" dans le passé, en donnant le signal opposé à la réalité. La polémique entre McIntyre et Mann a conduit le premier à donner le surnom de "upside-down Mann" au second. Celui-ci n'a jamais reconnu publiquement l'erreur, mais en réalité elle a été corrigée dans des articles subséquents (mais pas tous ..).

http://climateaudit.files.wordpress.com/2009/09/tiljander_rotated.gif

Densité en sédiments minéraux du lac Korrtajarvi, publié dans Tiljander et al. 2003 (échelle à l'envers vers le bas). La densité est corrélée négativement dans le passé (moins de densité en période chaude autour de l'an 1000), mais positivement actuellement (plus de densité) à cause des pollutions modernes. 

Revenons à Gergis et al. Quelle a été leur erreur ? en fait curieusement il semble qu'elle soit parti d'une bonne intention, c'est d'essayer d'éliminer les mauvais proxies en ne considérant pas vraiment la corrélation "tout compris", mais la corrélation entre les variations corrigées de la tendance linéaire. C'est à dire, au lieu de considérer X et T, on considère uniquement les résidus une fois qu'on soustrait leur variation linéaire; a priori, ceci devrait donner des indicateurs plus fiables : en effet si la corrélation est dominée par la simple croissance linéaire au cours du XXe siecle (ce qui est souvent le cas), alors le risque de confusion est plus grand parce que des tas de phénomènes différents peuvent produire des tendances linéaires. Par exemple, les cernes d'arbre peuvent grossir non pas à cause de T mais à cause de l'augmentation du CO2, ce qui ne prouverait pas du tout la montée en température. En raisonnant sur les variations plus fines , une fois la tendance linéaire soustraite, on peut penser que la corrélation est plus significative, car moins probablement obtenue par un autre effet. 

Cette méthode était donc bonne en principe, mais il semble malheureusement que Gergis et al... ne l'ont simplement pas appliquée ! c'est à dire qu'ils ont en fait testé des corrélations avec la tendance linéaire, contrairement à ce qu'ils annonçaient dans l'article. McIntyre remarque malicieuement que si ils avaient juste fait comme d'habitude, en gardant la corrélation linéaire comme les autres, personne n'aurait rien trouvé à redire (à part lui ...). Mais voilà, ayant annoncé une meilleure méthode, on pouvait quand même s'attendre à ce qu'ils l'appliquent ! 

Pour le moment, l'article est "retenu", et on ne sait pas quelle nouvelle version va sortir. Vont-ils essayer en ne gardant que les "bonnes corrélations" sans la tendance linéaire ? (ce qui risque d'en éliminer un paquet, et ne garantit peut être pas qu'ils retrouvent la courbe !!). Ou bien vont-ils revenir à la bonne vieille méthode .. qui sera alors tout autant critiquée que les autres ? en tout cas, ça semble confirmer que les crosses de hockey sont de façon générique douteuses et soumises à critique. Rappelons que le fameux "hide the decline" était précisément une opération pour "cacher" la fin d'une courbe de proxies,  qui avait le mauvais goût de ne plus varier dans le même sens que les températures ... tout cela ne laisse quand même pas l'impression de résultats rigoureux et fiables ! 

 


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commentaires

T
<br /> Gilles,<br /> <br /> <br /> un petit papier sur le boson de Higgs ?<br />
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T
<br /> Michael,<br /> <br /> <br /> j'ai fait un tour sur ton site; c'est bien de penser au futur énergétique de la planète, mais pourquoi s' accrocher au réchauffement climatique et au carbocentrisme pour poursuivre cette passion<br /> louable?<br />
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E
<br /> De toute façon quand on arrivera à se mettre d'accord sur le principe du rechauffemnt climatique et non sur le nombre de degré que l'on risque de subir il sera trop tard.<br /> <br /> <br /> C'est comme d'habitude toujours a débattre sur la forme et non sur le fond et donc on fait RIEN.   <br />
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Y
<br /> Ce serait pourtant simple à résoudre : il suffirait de représenter la courbe telle qu'elle est, c'est à dire avec ses marges d'erreurs.<br /> <br /> <br /> On verrait donc clairement matérialisé que plus on va dans le passé, plus c'est "flou" au lieu d'avoir une courbe moyenne qui est trompeuse.<br /> <br /> <br /> On verrait donc que la forme hocket n'est juste pas significative (ou on verrait l'inverse éventuellement ...)<br /> <br /> <br /> Bref ...<br />
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Q
<br /> qu'il doit => qu'il dit<br />
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