Je fais un aparté sur le problème des réserves pour rapporter une petite péripétie qui illustre bien, sur un exemple en réalité anodin, l'état actuel des travaux et discussions climatiques sur la toile. C'est une "analyse de cas" qui me parait instructive.
Le point de départ est un article paru récemment écrit par Grant Foster et Stefan Rahmstorf (téléchargeable ici) . G Foster est au départ statisticien et s'est engagé à fond dans la défense des climatologues, en ouvrant un blog sous le nom de Tamino, blog appelé, assez ironiquement selon moi, "Open Mind" car il ne brille pas particulièrement par sa tolérance aux contradicteurs (il s'est lui même attribué le titre de "bulldog" du climatologue James Hansen, avant de le supprimer en réalisant le côté un peu ridicule de ce titre). Il est très affûté sur les questions statistiques, en revanche, il est beaucoup plus léger à mon avis sur les questions de physique et d'attribution - en concluant à peu près systématiquement que toute variation non explicable par des facteurs connus est donc entièrement attribuable à l'influence anthropique. S. Rahmstorf est climatologue et s'est fait en particulier connaître pour avoir réévalué assez nettement à la hausse les prédictions de la hausse du niveau des océans, prévoyant plutot un mètre que les 30 à 50 cm figurant dans le rapport du GIEC - je ferai sans doute un post futur sur ce problème.
Le contexte du travail est, que depuis 10 ans, les températures ne semblent plus vraiment augmenter, sur les courbes "brutes".
C'est l'origine d'un débat acharné entre climatosceptiques, qui prétendent que le RC "s'est arrêté", et les climatologues qui arguent (avec raison ) que l'intervalle de 10 ans n'est pas significatif et que les données actuelles ne sont pas incompatibles avec la poursuite du RC, une fois tenu compte des barres d'erreur. Par exemple Tamino avait montré dans son blog que la pente calculée sur les N dernières années était certes plus faible, mais n'était jamais incompatible avec la poursuite de la pente des 30 dernières années, une fois pris en compte les incertitudes.
Courbe traçant la pente des température entre l'année N et 2010, en fonction de N. La valeur "centrale" de la pente décroit, mais l'incertitude augmente, ce qui fait que la valeur "constante" de 0.15 °C /décennie est toujours dans les barres d'erreur. Notons cependant qu'aucune accélération n'est mesurable.
On peut très bien d'ailleurs comprendre cet argument : la pente moyenne étant de l'ordre de 0,15 °C/ décennie, la variation attendue sur 10 ans est - logiquement - de 0,15 °C environ. Or les fluctuations d'une année sur l'autre sont bien supérieures à cette valeur (on peut avoir 0,5 °C de différence entre une année El Niño et La Niña par exemple). Quand on moyenne sur N années, les statistiques élémentaires nous apprennent que les fluctuations sont divisées par racine(N). En moyennant sur 10 ans, on s'attend donc à des fluctuations "de l'ordre" de 0,15 °C, comparable à la dérive moyenne (le trend). Il est donc parfaitement logique que les moyennes sur 10 ans soient "à la limite" de la significativité. Et donc on peut pinailler longtemps sur la significativité de cette non-hausse, on sera toujours dans les barres d'erreurs.
* l'oscillation océanique du Pacifique connue sous le nom de "El Niño/La Niña", connue pour provoquer des alternances de saisons humides ou sèches sur l'Amérique du Sud et l'Océanie (en balance) et influencer le climat mondial, les années "El Niño" étant globalement plus chaudes et "La Niña" plus froides (les années les plus chaudes connues, 1998, 2005, 2010 étant toutes des années "El Niño"").
L'indice composite "MEI" basé sur un certain nombre d'indicateurs climatiques (températures, pression, etc...) et traçant l'oscillation El Niño (en rouge) / La Niña (en bleu).
* L'activité solaire, qui a aussi une certaine influence (les dernières années ont été "anormalement" calmes, le cycle solaire actuel ayant pris plusieurs années de retard sur son redémarrage, pour des raisons totalement inconnues bien sûr - un exemple de phénomène "inexpliqué" mais certainement pas dû à l'influence anthropique, n'en déplaise à Tamino, ça existe !)
Graphique montrant l'intervalle de prédictions faites en 2007 sur le prochain cycle solaire (le 24)
La courbe observée, et les prédictions réactualisées, en Février 2011.. nettement plus faibles !
* Les éruptions volcaniques majeures, qui ont eu lieu deux fois en 30 ans : El Chichón en 1982 et le Pinatubo en 1991.
Les auteurs ont donc corrigé les influences des facteurs précédents pour extraire le comportement à long terme, et voici ce qu'ils obtiennent
La courbe obtenue est bien plus régulière, parce qu'elle fait disparaître les composantes précédentes, et en particulier les pics importants de température dus à El Niño en 1998. L'interprétation qui en est faite est que donc ça "prouve" que le RC continue et ne s'est pas arrêté, et même que ça "prouve" que c'est dû à l'effet de serre.
J'ai posté quelques commentaires sur la prudence qu'il convenait, selon moi, d'avoir face à cette courbe. La remarque que je fais est essentiellement que la méthode mathématique suivie a une tendance naturelle à gommer toute les variations et à "lisser" la courbe résiduelle le plus possible : c'est simplement dû au fait que les différents facteurs sont pondérés par des coefficients dont la valeur est en elle-même calculée pour minimiser les écarts par rapport à la moyenne. Ainsi, on est quelque part assuré, en les corrigeant, d'avoir la courbe "la plus régulière" possible. Mais ceci PEUT (je dis bien PEUT - je ne dis pas que c'est forcément le cas) introduire un biais en "minimisant" une possible variation sous-jacente , en l'attibuant (de façon erronnée) à un des facteurs qu'on a soustrait, et donc en la faisant "disparaitre" du résultat. Autrement dit la méthode choisie peut conduire à masquer une variation sur la courbe résiduelle.
Ceci dit, je ne pense pas que le résultat monté soit déraisonnable. Personnellement, je n'ai jamais mis en doute que le CO2 devait contribuer au réchauffement, et le CO2 n'a jamais cessé d'augmenter. Mais le point important que je veux soulever est qu'il n'est nullement prouvé que la courbe résiduelle ne contient que l'influence du RC anthropique, contrairement à ce que les commentaires semblent prétendre. Et si il y avait d'autres influences que le CO2 anthropique qui agissaient sur le long terme (comme des oscillations océaniques de longue période), elles peuvent tout autant contribuer à la courbe finale. Ce n'est donc en rien une preuve "d'attribution".
En fait cette courbe serait intéressante dans un but qui n'est pas développé par les auteurs : la comparaison avec les modèles numériques. On peut penser qu'en gommant les influences externes (volcans, soleil) et le oscillations mal reproduite (ENSO), la courbe obtenue serait un bon point de comparaison avec les modèles, mais cette comparaison n'est pas discutée. Un caractère intrigant , pour moi, est l'absence notable d'accélération de la pente : la courbe est "toute droite". Or ça ne me parait pas être une prédiction naturelle des modèles, qui donnent plutot des courbes incurvées , le forçage radiatif augmentant linéairement avec le temps. L'accélération est d'ailleurs nécessaire si on est censé dépasser 2°C à la fin du siècle, parce qu'avec à 0,15 °C par décennie, c'est finalement la valeur qu'on atteindrait entre 1970 et 2100. Il est un peu curieux de clamer que la trajectoire actuelle nous emmènerait bien au dessus de ce seuil, et de ne pas le voir sur les 40 premières années, une durée nullement "petite" par rapport aux 130 ans totaux (30% environ). L'absence d'accélération visible de la plupart des changements climatiques est d'ailleurs un phénomène peu discuté et qui me semble important à comprendre.
Venons-en maintenant aux aspects désagréables de l'histoire, la façon dont cette courbe a été présentée puis discutée sur un blog comme celui de Sylvestre Huet, journaliste à "Libé",
Sciences2. (par ailleurs très bien fait sur le plan de l'actualité scientifique, même si il essuie souvent des critiques pour son côté jugé partisan sur des sujets comme le climat et le nucléaire).
Il y a quelques mois, le blog de S. Huet n'était pas prémodéré, les commentaires étaient publiés librement. Si les commentaires étaient peu nombreux et relativement sages sur la plupart des sujets, les posts sur le climat, eux, étaient plutôt enflammés et dérivaient souvent en attaques personnelles. M. Huet intervenait peu dans les commentaires, mais il a, comme on dit vulgairement, "pété un câble", en publiant en particulier un commentaire mettant nommément en cause un des posteurs et l'accusant, sous son vrai nom, de poster des insultes à son égard sous un double pseudo. Or il se trouve que je connais un peu les deux pseudos en question, dont l'un que j'ai eu l'occasion de rencontrer personnellement (celui dont le nom apparaissait en clair), et que je suis quasiment certain que ce ne sont pas les mêmes personnes. La personne mise en cause nommément (alors qu'elle ne postait plus depuis un certain temps) m'a prié d'intervenir et j'ai écrit à M. Huet pour lui dire que selon moi, mettre en cause nommément, et à tort, quelqu'un sur son blog relevait de la diffamation. Après quelques échanges aigre-doux, M. Huet a retiré sa mise en cause personnelle, mais aussi décidé de prémodérer systématiquement tous les commentaires sur son blog.
Bon, il en a le droit, il est chez lui. Le problème que j'ai pu expérimenter est ce que cette prémodération s'exerce maintenant bien au delà de la censure des posts injurieux, hors sujets, et illégaux. En réalité M. Huet laisse toujours passer des posts attaquant directement les posteurs, mais censure certains (dont les miens) qui cherchent simplement à discuter le fond du problème, comme celui-ci. Il a par exemple laissé un de mes commentaires, posté sous "Gilles", mais y a répondu publiquement en mettant en cause le fait que je poste comme scientifique sur un forum au lieu d'écrire des articles. Je trouve la réponse très bizarre, d'abord parce que je n'avais pas posté explicitement comme scientifique - M. Huet s'est permis de "dévoiler" cet aspect, même si il n'est pas secret, vu que je ne l'ai pas particulièrement caché, je ne vois pas en quoi ça m'interdit de poster sur des forums grand public. Ensuite en se permettant de décider où et comment je dois exprimer mes opinions, et finalement, en supprimant purement et simplement des posts de ma part dans lesquels j'expliquais ma position. Tout cela participe selon moi d'une ambiance fort désagréable où le débat de fond est obscurci, détourné, et finalement annihilé en le transformant en des attaques personnelles, des considérations extrascientifiques, et des attitudes relevant plus de la défense d'une idéologie que du débat scientifique (l'honnêté demande quand même de préciser que cet aspect est tout aussi présent chez les climatosceptiques !).
Pour la petite histoire, je me suis fait aussi "virer" purement et simplement (interdit de poster sur les sujets climatiques) d'un autre forum pour avoir écrit ceci :
"Quand on en est à systématiser la censure et interdire de discuter des sujets sur des forums, au lieu de répondre , je n'appelle plus ça un débat scientifique sain. Pour moi la vraie discussion scientifique est un débat ouvert où tous les arguments peuvent être échangés (même les foireux qui logiquement devraient appeler des réponses montrant à quel point ils sont foireux), et ne devrait pas se produire sous la censure potentielle. Ca concerne bien évidemment tous les domaines de la science, y compris le mien."
Ce post a été jugé inacceptable, ce qui semble montrer que pour certains, la phrase correcte aurait sans doute dû être :
Quand on en est à systématiser la censure et interdire de discuter des sujets sur des forums, au lieu de répondre , j'appelle ça un débat scientifique sain...
Quoi qu'il en soit, elle a abouti... à mon exclusion.
Pour l'autre petite histoire, j'ai moi aussi supprimé quelques commentaires sur mon blog, soit que je trouvais inutilement insultants, soit dont le seul but était (encore une fois) de mettre en cause l'identité personnelle d'un des posteurs. Ca me permet donc de remettre les choses au point :
Apparemment contrairement à l'attitude jugée normale sur d'autres blogs, ce blog n'est PAS destiné au défoulement et à la mise en cause des posteurs, mais aux discussions scientifiques ouvertes et franches. Il n'y aura PAS de censure des commentaires portant sur le fond de problèmes, de quel côté qu'ils viennent. Il y aura, en revanche, suppression des posts mettant en cause nommément les personnes sans rien apporter au débat. Je ne sais pas si ce blog sera très supérieur aux autres par le niveau des posts et des commentaires - j'espère au moins qu'il tranchera au niveau des règles qui s'y appliquent. Et j'en profite pour remercier les lecteurs et les commentateurs pour le niveau général des discussions, très intéressant et correspondant parfaitement à l'esprit dans lequel je l'écris.