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4 avril 2012 3 04 /04 /avril /2012 18:49

Bonjour

me voilà de retour après une période un peu chargée professionnellement et personnellement (les loisirs prennent parfois du temps :) ). Je reprends les articles de ce blog en continuant, comme promis, l'examen des scénarios dépletionnistes et leur comparaison avec ceux du GIEC. J'écrirai aussi à propos des neutrinos superluminiques, puisqu'il y a eu quelques nouvelles depuis de la collaboration OPERA (un peu triste pour l'image des scientifiques, mais c'était hélas à craindre).

Pour en revenir aux scénarios, nous avons vu donc précédemment comment établir des courbes "moyennes" de production à partir d'estimations de réserves et d'hypothèses approximatives, mais simples, sur la forme des courbes de production, basées sur le modèle de Hubbert. Comme on l'a vu, ces courbes sont essentiellement une courbe en cloche avec une première phase de croissance (exponentielle) à taux constant, le passage par un maximum, puis une décroissance aussi exponentielle avec le même taux que le taux de croissance initial.

Pour faire ses prévisions climatiques, le GIEC a travaillé sur un ensemble de scénarios possibles de production de gaz à effet de serre (essentiellement le CO2 mais d'autres gaz contribuent de manière non négligeable). Il faut donc avoir des courbes de production futures de CO2, qui sont très proches des courbes d'extraction de fossiles (la plupart des fossiles étant finalement brûlés ou oxydés, y compris les produits chimiques et des plastiques, qui terminent le plus souvent dans des incinérateurs ou s'oxydent à l'air) . Bien évidemment ces courbes sont inconnues, et donc le GIEC a demandé à des groupes d'économistes de travailler sur plusieurs hypothèses pour établir les scénarios possibles. Ces groupes ont différents noms (MARIA , MESSAGE, MINICAM , AIM, etc ..), et les hypothèses retenues correspondent à différents futurs sur la démographie, l'efficacité énergétique, etc ... 

Par exemple la famille de scénarios A1 est basée sur les hypothèses de

* croissance économique rapide

* population mondiale culminant à 9 milliards en 2050, et décroissant ensuite

* pénétration de nouvelles technologies énergétiquement efficaces  rapide,

*  revenu par tête et le mode de vie convergent entre régions (c'est à dire que les Chinois, les Indiens, et les Occidentaux se mettent à vivre de manière très similaire),

* les interactions sociales et culturelles augmentent de manière forte,

*  pour l'énergie, il y a 3 variantes : une utilisation intensive des énergie fossiles (variante A1FI, "FI" signifiant "fossil intensive") ; une utilisation intensive des sources non fossiles (variante A1T) ; un appel aux diverses sources sans en privilégier une en particulier.

Il existe aussi des scénarios de type A2 (croissance démographique continue atteignant 15 milliards en 2100, monde hétérogène), de type B1 (même démographie que A1 mais développement des services et technologies de l'information), et B2 (population croissante à 10 milliards en 2100, développement inégal)

Une présentation plus complète peut se trouver par exemple sur le site de JM Jancovici, déjà cité ici

http://www.manicore.com/documentation/serre/scenario.html

 

Tous ces scénarios ayant été étudié par différents les groupes (avec quelques petits trous), on aboutit finalement à 41 scénarios notés A1 MESSAGE, A1 MINICAM, B1 IMAGE, etc, ....

Le GIEC a choisi d'en extraire 6 considérés comme "typiques", souvent représentés sur des graphiques comme celui-ci montrant l'évolution de la production de GES dans les différents scénarios

http://www.senat.fr/rap/r08-543/r08-5432.gif

Les scénarios "typiques " sont en fait 

A1 : le scénario A1B - AIM

A1-FI : le scénario A1G - MINICAM

A1T : le scénario A1T- MESSAGE

A2 : le scénario A2-ASF

B1 : le scénario B1-IMAGE

B2 : le scénario B2-MESSAGE

Mais il y a en réalité 41 courbes différentes. Ces scénarios ont été publiés dans le "Special report on Emission Scenarios" (SRES), et des travaux ultérieurs ont encore élargi la fourchette "post-SRES". 

A partir de ces scénarios, on peut tracer des courbes de production de charbon, de gaz ou de pétrole, et les comparer directement aux résultats du modèle de Hubbert des réserves actuellement considérées comme économiquement exploitables. Je reproduis ci-dessous les 3 courbes, en faisant apparaitre en plus épais, et avec les mêmes couleurs que ci-dessus, les 6 scénarios typiques, ainsi que la courbe de Hubbert correspondante (pointillés rouges) et la courbe actuelle de production jusqu'en 2010 (en noir).

Je laisse le lecteur considérer un moment ces courbes, avant de faire un certain nombre de commentaires personnels plus bas.

Voici d'abord les courbes relatives à la production de charbon. 

 

Allscencharbon2.jpg

celles pour le gaz naturel :

Allscengaz2

 

et enfin celles pour le pétrole :

Allscenpetrole2.jpg

 

En regardant l'ensemble de ces courbes, il apparait immédiatement un certain nombre de traits frappants 

- d'abord l'extrême hétérogéneité et la grande dispersion des courbes , d'un scénario à l'autre. Pour chaque combustible, on peut avoir des consommations s'annulant ou presque en 2100, ou au contraire multipliée par 3 , 4 , ou 5 par rapport à l'actuelle. Cette hétérogeneité n'est pas qu'une conséquence des hypothèses faites puisque pour un même jeu d'hypothèses, différents groupes arrivent à des scénarios très variables ! 

- petit détail curieux, les courbes ne commencent même pas au même endroit en 1990, alors que le SRES a été publié après cette date, et que les données étaient déjà connues ! apparamment les différents groupes ne se sont même pas souciés de s'harmoniser entre eux et avec les données.

- les courbes s'écartent très souvent d'une courbe de Hubbert, avec des formes parfois franchement bizarres : parfois elles montent rapidement puis s'écroulent, ou alors elles stagnent et se mettent à grimper on ne sait pas trop pourquoi après 2050, ou encore elles zigzaguent en montant, redescendant, puis remontant ...

- pour la grande majorité des courbes, l'intégrale dépasse, et souvent assez largement, l'intégrale des réserves conventionnelles données par la courbe de Hubbert. Comme il est logique de penser que les réserves conventionnelles seront exploitées en priorité, il s'ensuit que tout ce qui doit être produit en plus doit l'être sous la forme de ressources considérées actuellement comme non conventionnelles (et non rentables). L'écart entre la courbe de Hubbert et une courbe du SRES sera donc le volume de ressource non conventionnelle à extraire annuellement, volume souvent très important (plusieurs fois la production actuelle de réserves conventionnelles a priori facilement accessibles). C'est particulièrement frappant pour le gaz naturel qui excède toutes les réserves connues pour tous les scénarios.

-Inversement, certains scénarios prévoient des mondes en 2100 sans aucune consommation de pétrole, ou bien sans charbon (on ne sait pas comment ils comptent faire de l'acier, à moins qu'ils supposent qu'on n'en ait plus besoin ..).

Que dire de tout cela ? d'abord que je suis perplexe sur le contenu réel de cet ensemble de scénarios. Il est souvent invoqué que la grande variété des scénarios est nécessaire pour recouvrir "tous les possibles", mais cette assertion est très contestable, en tout cas pour l'ensemble présenté ici. En effet malgré cette grande variété, l'ensemble des scénarios est loin de recouvrir "tous les possibles", et en particulier, il n'inclut même pas la possibilité de ne se restreindre qu'aux réserves prouvées ! Il y a en réalité un biais sous-jacent à cet ensemble : tous les scénarios, sans exception, font l'hypothèse d'une croissance économique continue de l'ordre de + 2% par an dans tout le 21 siècle. + 2% par an, ça peut paraître peu, mais rappelez vous qu'une exponentielle croissant à r % /an a la propriété de doubler tous les 70 /r ans (70 = 100 ln(2)) . Une croissance de +2% par an va donc doubler le PIB en 35 ans, et le multiplier par 8 au bout de 100 ans. Dans tous les scénarios, le monde est supposé s'enrichir et atteindre à la fin du XXIe siecle un niveau de vie moyen comparable aux américains actuels.

Un peu difficile de croire quand même que "tous les possibles" doivent obeir à cette perspective optimiste ! en réalité il y a un biais évident , le fait que le GIEC soit un organisme gouvernemental interdit d'imaginer une autre perspective qu'une croissance continue. De puis, ces scénarios sont élaborés par des économistes qui d'une part ont tendance à penser que l'état de croissance est un état naturel, fondé uniquement sur l'ingéniosité humaine et donc potentiellement éternel, et d'autre part, que les ressources naturelles sont illimitées ou presque, la rareté produisant une augmentation des prix, qui produit elle même un accroissement du périmètre des réserves disponibles. Les économistes du GIEC ne tiennent donc pas du tout compte des limites des ressources disponibles, comme le montre la comparaison avec les réserves prouvées - les courbes n'ayant aucun rapport avec l'épuisement de ces réserves.

Quel crédit peut-on apporter à ces hypothèses? et plus fondamentalement, quelle information UTILE tirer de ces courbes ? l'extrême dispersion des valeurs montre qu'elles ne sortent sûrement pas de loi validées dont on pourrait penser qu'elles convergent vers des résultats voisins. Pour être un peu méchant, je dirai que si on donnait une boite de crayons de couleur à des enfants de maternelle en leur demandant de tracer une série de courbe en cloche, on aurait à peu près le même résultat. Qu'est ce que ça change que ce soit fait par des économistes, ou par des gamins de maternelle ?

Ce que ça POURRAIT changer, c'est si on était sûr de la relation déterministe entre les hypothèses faites, et le résultat obtenu. Autrement dit on pourrait accepter que le futur est incertain à cause de certaines inconnues sur la démographie , les choix énergétiques, etc.... mais que SI on connaissait ces facteurs, ALORS on pourrait déterminer avec une grande confiance le résultat sur le CO2 (confiance qu'on n'aurait évidemment pas en confiant ce travail à des enfants de maternelle, mais qu'on serait en droit d'attendre de gens sérieux).

Mais en réalité, même cela n'est pas vrai : les modèles utilisés par ces économistes sont essentiellement inconnus et non validés. La grande dispersion des courbes montre qu'ils peuvent sortir, à partir des mêmes hypothèses, à peu près tout et n'importe quoi. Ce n'est certainement pas le résultat attendu d'une théorie scientifique, dont je dirai au contraire qu'elle doit être prédictive, c'est à dire capable de réduire significativement l'incertitude sur le futur. Ce n'est absolument pas l'impression qu'on a en regardant ces courbes. Disons le nettement : les économistes n'ont jamais pu prévoir avec confiance l'évolution de la production et des prix des ressources énergétiques, comme l'a montrée la flambée récente et le plafonnement de la production pétrolière.

Le statut de ces scénarios est ambigu : le GIEC dit qu'il ne leur affecte "aucune valeur de vraisemblance" - c'est à dire qu'il présente ça comme des "possibles" mais n'évalue pas leur probabilité (ce qui inclut potentiellement le fait qu'elle pourrait être très faible). Le problème, c'est qu'une fois dit cela, on s'empresse de l'oublier et de traiter cet ensemble de scénarios comme étant représentatif de l'évolution VRAISEMBLABLE de la société. Toutes les conséquences écologiques sont calculées à partir des scénarios "types" qu'on présente comme des scénarios "moyens" , sous-entendu : on va certainement suivre ce chemin si on ne fait rien. Mais en réalité il n'y aucune validation, nulle part, que ce sont ces chemins qui sont plausibles. Il n'y a rien qui soutienne l'idée que la production d'hydrocarbures pourrait excéder largement la production actuelle quand les conventionnels seront épuisés, ni que la croissance économique devrait se poursuivre pendant 100 ans. Ce n'est que du "wishful thinking", des "storylines", bref du Sim City.

Les "probabilités" qu'on dépasse tant de ppm dans X années, par exemple, n'ont strictement aucun sens si on n'a pas quantifié la vraisemblance de ces scénarios. En réalité, ceux qui font ces estimations raisonnent en général sur l'ensemble des courbes comme si elles étaient équiprobables - mais cette hypothèse encore une fois n'a aucune justification. L'ensemble des scénarios du GIEC dessine un monde où il devient très improbable de consommer une quantité proche des réserves prouvées, bien improbable de ne pas avoir une croissance continue amenant l'ensemble du monde dans 100 ans au niveau des américains, bien improbable d'avoir des courbes de production en cloche ... un monde bien improbable, en réalité !! 

Pour être honnête, le GIEC, devant s'être rendu compte du caractère un peu absurde de cet ensemble très vaste (et essentiellement inutile en fait dans sa complexité, puisque le seul paramètre pertinent est la production de GES au cours du siècle), a changé sa méthodologie pour son prochain rapport. Il a défini des courbes typiques de concentration en effet de serre (Representative Concentration Pathways ou RCP) et va ensuite illustrer comment ces courbes pourraient être obtenues. Je commenterai cette nouvelle approche dans un autre post (je préviens tout de suite que je n'aurai pas beaucoup plus d'indulgence que pour l'ancienne ...).

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commentaires

R
<br /> Je me suis tromper, l'augmentation finale, de 4°C par rapport à 1850, correspond à 3,25 °C (plus ou moins avec une augmentation de 1850 à aujourd'hui de 0,75 environ) d'augmentation entre<br /> aujoud'hui et à terme, quand ce sera stabilisé.<br /> <br /> <br /> Bref voilà, désolé pour l'erreur.<br />
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R
<br /> Bonjour Gilles,<br /> <br /> <br /> très intéressant cela, bizarre qu'il n'y ait pas plus de commentaire.<br /> <br /> <br /> Mais en effet si le GIEC ne prend pas en compte les réserves, bin c'est pas très fondé. Improbable comme tu dis.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Mais du coup ! Par rapport au fil sur oléocene sur le RC, je citais Janco, il donnait de 4 à 4,9 °C d'élévation de température à terme, (longtemps après avoir dépassé le pic de consommation et<br /> après que nos émissions de CO2 arrêtent de faire croite la concentration dans l'atmosphère.) Mais alors, je trouve ça très en accord avec ce que tu as décris dans ton scénario. Tu donnes en 2100,<br /> 500 ppm de CO2, avec 2 °C d'élévation. A terme avec entre 570 à 660 ppm de CO2, on a une élévation de 4°C par rapport à 1850. Soit seulement 2,5 de plus par rapport à maintenant il me semble.<br /> C'est pas très différent de ce que tu donnes.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> C'est bon je suis convaincu par tes autres articles... Le RC c'est peanuts par rapport à ne pas consommer de fossile, ou faut le démontrer. Sachant qu'on peut pas remplacer les fossiles... Bon<br /> bha keep on running.<br /> <br /> <br /> Ton site est très intéressant ! Je ne l'avais pas assez lu avant, et j'étais trop borné à la notion de pic. Qui finalement n'est pas si grave que cela. ça demande un changement de budget  de<br /> l'état, moins ou pas de croissance. Mais pas d'apocalypse.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Bon je vais réviser quel chemin prendre pour l'avenir... ça aura pris du temps avec cette croyance de l'apocalypse...<br /> <br /> <br /> Merci encore,<br /> <br /> <br /> Cordialement,<br /> <br /> <br /> Thomas<br />
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T
<br /> Je pense que concernant Janco, jouer l'oiseau de mauvais augure en rapportant des vérités et en clamant que bientôt on va tous devoir se serrer la ceinture, n'a pas beaucoup rapporté; il a sans<br /> doute eu beaucoup plus de succès (et de recettes)  en colportant des bobards sur un sujet qui en fin de compte ne préoccupe que les bénéficiaires du green business, sauf si les exagérations<br /> de celui-ci portera atteinte trop lourdement au porte feuille du commun des mortels<br />
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H
<br /> Si je comprends bien votre démarche ici, en gros, les seules projections un tant soit peu réalistes seraient celles qu'a faites le rapport Meadows dès le début des années 1970... (et dont parle<br /> assez bien J-M Jancovici sur son site Manicore).<br />
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C
<br /> <br /> Bonjour<br /> <br /> <br /> je ne sais pas si ce sont les seules réalistes. Pour moi ce sont les plus réalistes (enfin Meadows avait traité du problème général de l'impossibilité de continuer éternellement la croissance<br /> sans forcément quantifier très précisément l'évolution des réserves, mais c'est la même idée). Mais surtout j'aimerais faire prendre conscience que les scénarios utllisés par le GIEC<br /> appartiennent à un sous-ensemble biaisé par quelques hypothèses dont il est rien moins que sûr qu'elles soient réalistes : continuation de la croissance économique sans interruption sur le XXI e<br /> siecle, et absence de conséquences visibles de l'épuisement des fossiles conventionnels sur l'économie. Ce qui est assez savoureux, c'est que ce sont souvent les mêmes personnes qui alertent sur<br /> les conséquences climatiques et sur la pénurie d'énergie, sans réaliser que c'est quand même plus ou moins incompatible ... et que si les deux problèmes se posent en même  temps, alors il va<br /> bien falloir décider lequel est le plus grave, parce qu'ils ont tendance à tirer les efforts dans deux directions opposées ! <br /> <br /> <br /> <br />