Après l'effondrement économique de la Grèce, comme il était hélas prévisible, c'est maintenant l'Espagne qui est le centre de toutes les inquiétudes. Les mauvaises nouvelles se sont succédées récemment : appel de Madrid à une aide européenne pour renflouer ses banques, de l'ordre de 100 milliards d'euros (oups ..). Dégradation des principales banques espagnoles par les agences de notation. Explosion des taux d'interêt. La spirale de la crise grecque semble se profiler à nouveau, mais cette fois, pour un pays qui représente 12% de l'économie européenne, et non 2%. La récession espagnole se confirme avec une baisse de -0.4 % au second semestre. En ce moment même, les bourses européennes rechutent à la perspective d'un plan de sauvetage à grande échelle, et les commentateurs ne cachent pas leur inquiétude. Les derniers pays européens "sûrs" comme l'Allemagne, le Luxembourg et les Pays Bas voient à leur tour leur dette placée en surveillance négative.
Nous l'avons dit et répété ici : le plus grand danger qui menace le monde actuel, ce n'est pas le danger climatique, c'est l'effondrement du système économique sur lequel notre société est basée, et qui reposait sur l'accroissement continuel de richesses, accroissement qui ne peut qu'avoir un terme par épuisement des ressources naturelles; ce discours n'est pas bien sûr très original, mais ce qui l'est probablement un peu plus, c'est de défendre l'idée que les crises actuelles en sont le premier signe, et qu'elles ne sont pas, comme on le dit très souvent, uniquement dues à des problèmes financiers et des politiques bancaires imprévoyantes. Les politiques financières imprévoyantes (telles que les ont connues justement la Grèce et l'Espagne) aggravent le problème et précipitent ces pays dans des crises violentes, mais le fond du problème aurait existé avec une politique "sage" - une politique sage pouvant au mieux accompagner et mitiger la décroissance, mais ne pourra pas l'éviter.
Malheureusement, il semble bien que le côté inéluctable de la décroissance sur le long terme ne passe pas vraiment dans les discours. Même les politiques de sauvetage reposent sur l'hypothèse d'une croissance qui repartira et permettra de "rembourser les dettes". Personne n'envisage, ou n'ose dire qu'il envisage, que ces dettes ne soient simplement jamais remboursées, ou seulement par l'inflation , ce qui est une manière de ne pas les payer mais de répartir le manque à gagner sur toute la population. La spirale vertueuse de la croissance, possible quand les ressources naturelles pouvaient croître sans restriction, se transforme en une spirale infernale de la récession - moins d'argent, moins de consommation, moins d'activité, moins d'argent .. tout ce qui semblait marcher jusqu'à présent ne semble mystérieusement plus fonctionner, enfin,mystérieusement pour ceux qui ne veulent pas admettre que l'économie repose d'abord et avant tout sur la consommation de ressources physiques.
A côté de cela, nous entendons des discours rassurants sur les ressources pétrolières. Dans une étude récente (version pdf ici ), Leonardo Maugeri prétend que les capacités de production pétrolière vont connaitre une forte croissance de presque 20 millions de barils par jours (Mbd) d'ici 2020, grâce à la mise en production de nouveaux gisements liés au "shale oil" , le pétrole associé aux schistes (à ne pas confondre avec les schistes bitumineux qui demandent un traitement chimique élaboré et coûteux pour produire un pétrole synthétique : ici , il s'agit de vrai pétrole mais "captif" dans des roches, qu'on peut néanmoins extraire par des techniques de fracturation analogues à celles du gaz de schiste).
L'étude a été faite à l'Université d'Harvard, mais Leonardo Maugeri n'est pas vraiment un universitaire. C'est en fait une personnalité de l'industrie pétrolière, ancien dirigeant de la compagnie italienne ENI. Il a toujours nié la proximité du peak oil, et n'a bien sûr jamais prédit l'explosion du prix qui a accompagné le plafonnement de la production à partir de 2005. Il est exact que ce prix élevé a favorisé la recherche de nouveaux gisements, dont le pétrole de schistes des Bakken aux USA, qui a permis à ce pays d'augmenter assez sensiblement sa production. C'est l'argument classique des "terraplatistes" du pétrole , qui semble démontrer qu'il ne peut jamais y avoir de pénurie puisque toute pénurie provoque un accroissement du prix qui rend ensuite accessible de nouvelles réserves.
L'argument paraît à première vue imparable, mais il semble avoir la conséquence curieuse de prédire que la production croîtrait indéfiniment, ce qui paraît peu plausible. Où pèche-t-il donc ?
Déjà, des critiques s'élèvent sur son étude, en particulier sur le fait qu'il aurait systématiquement sous-estimé les taux de déclin des champs actuels et les possibilités des ressources non-conventionnelles. Mais surtout, il oublie simplement que la production est un équilibre entre offre et demande; si les ressources difficiles deviennent accessibles à des prix élevés, ces mêmes prix élevés limitent la demande, précisément en diminuant le pouvoir de consommation et donc la disponibilité monétaire. Pendant que M. Maugeri s'extasie sur les prouesses techniques permettant de racler les dernières gouttes de pétrole que notre planète recèle, l'économie s'effondre souterrainement par pans entiers, et le monde sera bien trop pauvre pour exploiter ces ressources aux prix où elles coûtent, à un niveau en tout cas comparable à la consommation actuelle. Combien de temps mettrons nous à le réaliser ?