Le mouvement des "los Indignados" , reprenant le terme du petit livre à succès de S. Hessel, semble connaître un certain essouflement avec le départ des manifestants de la Puerta del Sol. Cet essoufflement est probablement révélateur du désarroi profond qui l'a provoqué, ayant conduit les manifestants à exprimer leur rejet d'un système politique, mais sans vraie solution de rechange.
Car au fond, quelle est l'origine de ce mouvement ? la population rassemblée pour exprimer son ras-le-bol d'un système politique, ressenti comme confisqué par des politiciens, et ne les représentant pas, était d'abord et avant tout composée de victimes de la dure crise économique ayant frappé l'Espagne depuis 2008, et la mettant en tête des grands pays européens menacés de subir le sort de l'Irlande, de la Grèce ou du Portugal. Elle était décrite comme " De jeunes diplômés sans emploi y côtoi[ya]nt des salariés précaires ; des familles surendettées par leur emprunt immobilier crois[a]nt des fonctionnaires ; les quinquagénaires et les retraités [ayant] rejoint leurs cadets." Bref , les plus touchés par une crise qui les dépasse et dont ils se sentent des victimes innocentes.
Le réflexe est donc d'imputer la gravité de la crise au système politique et financier. Il y a probablement une responsabilité importante de la part des politiques s'étant lancée imprudemment dans une croissance effrenée, soutenue par des placements douteux, avec une bulle immobilière inédite à la clé. L'effondrement brutal du chateau de cartes financier a certes laissé sur le carreau des millions de gens qui ne comprennent pas pourquoi ils devraient être exclus des richesses qu'on leur a fait entrevoir. Mais leur revendication revient finalement, encore et toujours, à réclamer une amélioration de leur niveau de vie. La contestation du "système" est en réalité une contestation de sa capacité à leur apporter la richesse. On a beau remettre en cause le principe de la croissance et le PIB, en pratique, les individus cherchent quand même la plupart du temps à vivre le mieux possible, et supportent rarement de s'appauvrir. Le même paradoxe se retrouve dans les mouvements altermondialistes qui, dans un même souffle, dénoncent à la fois le productivisme de la société capitaliste et les injustices dans l'inégalité de l'accès aux ressources mondiales. Car la solution pour résoudre cette inégalité n'est jamais de ramener les pays riches au niveau des pauvres, mais plutot l'inverse !
Malheureusement, réclamer l'amélioration du niveau de vie des pauvres n'est pas du tout une remise en cause de la croissance économique - en réalité, c'en est le principe même ! la croissance n'est due finalement qu'au fait que chacun, chaque année, ne voit pas pourquoi il n'aurait pas le droit d'avoir les mêmes richesses que celui qui vit juste quelques % au-dessus de lui. Si on rajoute à ça la croissance démographique, il n'y a aucune raison que l'humanité cesse d'elle-même de tenter d'améliorer sans cesse son sort, ce qui poussera inéluctablement à la croissance de la consommation des ressources. Il n'y a pas de mécanisme régulateur interne qui limite la quantité de ressources consommées - les seules limites seront imposées par les contraintes extérieures que nous imposent la nature. Et malheureusement aucun système politique n'est capable de les éviter. Il risque d'y avoir encore, dans les prochaines décennies, de nombreux "indignés" de par le monde ....