Comme on l'a vu dans le post précédent, la justification de la croyance en l'assertion sur l'influence anthropique prépondérante dans le RC repose essentiellement sur l'argument que les modèles ne peuvent pas reproduire le réchauffement moderne sans cette influence. Il est donc nécessaire de regarder d'un peu plus près la façon dont les modèles collent aux observations. Une des figures essentielles reproduite dans l'AR4 du "Working group I" (le groupe de travail chargé de l'aspect "scientifique" du climat) est celle-ci
(figure 9-5, l'ensemble des figures et tables étant consultables ici )
Cette figure représente la comparaison entre les températures instrumentales observées et les modèles, en haut, lorsque toutes les influences anthropiques et naturelles sont incluses, en bas, avec seulement les influences naturelles. Les courbes fines jaunes ou bleues sont les réalisations de différents modèles, les courbes épaisse rouges et bleues sont des moyennes des modèles.
Une figure analogue mais représentant la comparaison continent par continent est la suivante
Le principe est le même, les courbes roses incluent l'influence anthropique, les courbes bleues ne les incluent pas.La comparaison est spatialement plus détaillée. Les trois graphiques en bas à gauche représentent la moyenne globale (essentiellement la même information que le graphique du haut, et les deux du bas représenten la moyenne pour les terres émergées et les océans.
L'impression générale laissée par ces graphiques est que, de manière convaincante, les modèles reproduisent bien les variations naturelles de la première moitié du siècle, et mal celles de la seconde moitié, sauf si on y rajoute l'influence anthropique.
Cette impression visuelle doit, à mon avis, être plus soigneusement analysée. Il faut se rappeler que, comme rappelé au post précédent, le point présenté est essentiel dans le débat climatique : l'argument principal présenté par un climatologue renommé comme Phil Jones, est que les modèles ne parviennent pas à reproduire la montée de la deuxième moitié du XXe siecle sans influence anthropique. Le rapport du GIEC le confirme : "The fact that climate models are only able to reproduce observed global mean temperature changes over the 20th century when they include anthropogenic forcings, and that they fail to do so when they exclude anthropogenic forcings, is evidence for the influence of humans on global climate."
Comme nous l'avons dit, l'argument n'est parfaitement convaincant que si on a prouvé avant que les modèles reproduisaient bien la période "préanthropique" : si ils n'arrivent pas à le faire, en effet, qu'est ce qui assure que le facteur "manquant" dans la première moitié du XXe siècle ne joue pas également dans la seconde ?
De la même façon qu'on peut raisonnablement supposer que Phil Jones sélectionne "le meilleur" argument, on peut également supposer que le GIEC présente "les meilleures preuves" de cet argument, et que donc, ce graphique est réellement la cheville ouvrière de l'ensemble du discours climatique.
Cependant, à mon avis, ces graphiques posent un certain nombre de questions :
1) les courbes sont des courbes d'anomalie donc, nous l'avons vu, des courbes d'écart à une moyenne de base. Pour comparer les observations et les modèles, il faut convenir d'une période commune de référence; quelle est cette période ? d'après la légende, et les indications données ici, spécifiquement à la page SM 9-5 :
"Detailed description of the procedures used to produce this figure:.... 10. Calculate anomalies relative to the 1901-1950 reference period
For all of the data sets from Step 9, time series were re-centered relative to the mean of the 1901-1950 reference period for that time series."
les courbes sont donc normalisées dans la période 1901 -1950, ce qui signifie que les modèles et les observations sont automatiquement centrés l'un sur l'autre dans la première moitié du XXe siècle.
Cette remarque n'est pas du tout innocente : elle assure forcément déjà , par construction, un accord au moins moyen entre les courbes dans la première moitié, quel que soit le modèle utilisé et même si il est totalement faux ! en revanche elle laisse "libre" la deuxième moitié. Autrement dit, tout désaccord potentiel entre modèles et observations sera intégralement reporté sur la deuxième moitié, la première étant automatiquement centrée sur les mêmes points. C'est la procédure de calcul des anomalies qui l'assure automatiquement.
2) comme les courbes sont centrées sur la première moitié, la comparaison de leur position relative n'a pas de sens. Ce qui compte, c'est plutot leur pente , et leur variabilité. Or les pentes sont-elles bien reproduites ? en réalité, si on regarde bien la première moitié, pas tellement ! on voit que jusqu'en 1940, la températures ont monté en moyenne bien plus que les modèles ne le prévoient (on a vu que la pente des températures dans la période 1910 -1940 était pratiquement la même que maintenant). C'est assez compréhensible : si la pente moderne est expliquée par l'influence anthropique, la même pente est difficile à expliquer sans eux. On voit que les courbes instrumentales semblent partir "du bas" de l'intervalle pour arriver "en haut", puis repartent vers le bas. La seule variable de comparaison pertinente (vu le centrage), c'est à dire la pente, n'est donc pas très bien reproduite ... et l'erreur commise n'est pas négligeable par rapport à la contribution anthropique supposée dans la deuxième moitié.
3) les courbes théoriques, bien que recouvrant globalement la courbe instrumentale, ont quand même un comportement sensiblement différent dans la période 1900-1950: leur pente est plus faible, et elles continuent sans interruption jusqu'à 1963, date d'une grande éruption volcanique, celle du volcan Agung en indonésie. Cette éruption marque un net refroidissement dans les courbes théoriques. On peut remarquer cependant que si il y a bien aussi une variation vers le bas dans les courbes instrumentales, elle n'est pas vraiment supérieure aux fluctuations habituelles; a vrai dire, en ne regardant que la courbe instrumentale, la date des éruptions volcaniques (il y en a eu deux autres majeures indiquées sur le graphique, El Chichon en 1982 au Mexique, et Pinatubo en 1991 aux Philippines) n'est pas vraiment repérable !
Une preuve supplémentaire de ce mauvais accord entre données et modèles avant 1940 est fournie par la comparaison de la variation de températures dans un intervalle de 30 années avant chaque date (1930, 1940, 1950.. donc en fait la valeur de T(1930)-T(1900), T(1940)-T(1910), etc..... , en comparant observations (en noir) et modèles (en couleur) (figure 9-10)
Là encore, on observe que les modèles ont une variation sur 30 ans à peu près constante de 1930 à 1950, alors que les données varient plus au début, et moins à la fin. D'un simple point de vue statistique par rapport aux barres d'erreurs, les modèles sont pratiquement systématiquement exclus par les données. Je rappelle que la validation de la période préanthropique est très importante pour valider le raisonnement d'ensemble, car il faut pouvoir exclure toute possibilité d'une autre variation naturelle, inconnue des modèles.
On retrouve également l'impression de surestimations des éruptions volcaniques dans une autre figure, celle donnant la variation de hauteur de la tropopause (la limite supérieure de la troposphère) en comparant modèles et observations
Si la montée générale après 1970 semble bien reproduite, le détail des eruptions volcaniques semble très surestimé. Notons que la partie plate initiale jusqu'en 1950 n'existe que dans le modèles, les mesures n'existant pas encore à l'époque. Il n'est pas complètement clair si la décroissance observée au moment de l'éruption d'Agung n'a pas en réalité commencé avant, ce qui serait là encore le signe d'une variabilité naturelle supérieure à celle prédite par les modèles.
L'accord "global" semble donc en réalité un peu "bricolé" par une pente trop faible dans la période 1910-1940, et des éruptions dont l'influence semble généralement surestimée : dans l'ensemble, la rupture de pente instrumentale des années 40-50 n'apparait pas sur les modèles, en revanche les refroidissements dus aux éruptions volcaniques n'apparaissent pas clairement dans les observations.
4) de façon générale, l'impression d'accord vient du fait que la courbe instrumentale "serpente" dans l'intervalle des courbes de modèles. Or , c'est en réalité une chose inhabituelle que de comparer une courbe instrumentale à un ensemble de modèles disparates. Ces modèles sont obtenus avec des paramètres différents, mais également avec des hypothèses physiques différentes. Ils sont donc, d'une manière ou d'une autre, presque tous (et probablement tous) "faux". Or il est évident qu'en superposant un nombre suffisant de modèles faux, on peut recouvrir n'importe quelle courbe. Quel sens précis cela a-t-il? que valide-t-on au juste ?
une chose est très intrigante dans le graphique : si on regarde attentivement la courbe instrumentale noire, elle zigzague très exactement dans l'intervalle des courbes jaunes en "touchant" tout juste les bords, ni plus , ni moins : elle ne sort jamais de l'intervalle des modèles , mais reste dans le couloir, en touchant soit le bord supérieur , soit le bord inférieur. Symétriquement, aucune courbe jaune ne parait "inutile" , aucune n'est totalement en dehors de cet intervalle. Pourquoi est ce que cela est suspect ? parce que l'ensemble des modèles dépendent de paramètres ajustables, et donc il est toujours possible de "couper" au plus juste en éliminant les courbes "inutiles" (jugées comme mauvaises) pour ne garder que celles qui recouvrent une courbe donnée à l'avance. Il est bien évident que ce biais est très difficile à éviter : lorsque des climatologues font un calcul et le jugent mauvais, personne ne les oblige à le publier et encore moins à le proposer pour figurer dans le rapport du GIEC ! il est vrai que les simulations finalement retenues ne "trichent" pas en étant ajustées explicitement aux données, mais elles résultent quand même d'années de mise au point et d'élimination de calculs "parasites". On ne va pas perdre des milliers d'heures d'ordinateurs très convoités à faire des calculs dont les premiers tests ont montré qu'ils étaient faux ! il y a donc une "sélection naturelle" conduisant naturellement à ne garder que les calculs "qui marchent". On a quand même l'impression que cette méthode va pouvoir "globalement marcher" en ajustant quelques paramètres. Et de fait, l'analyse de la différence entre les modèles (qui rappelons le donnent des sensibilités assez différentes les uns des autres), montre que ces différences sont essentiellement dues à l'impact différente de la nébulosité, impact très mal connu théoriquement et essentiellement ajusté " à la main" par des paramétrisations ad hoc.
Dans le monde des simulations, il est très bien connu que "marcher" dans un certain intervalle ne signifie nullement que toute la physique est correcte et que le modèle est parfaitement fiable ! il y a en général plein de manières de reproduire une courbe de façon "assez satisfaisante" avec des modèles faux. On trouve que j'exagère? alors écoutons ce que dit T. Wigley, un climatologue renommé, (qui a dirigé le CRU avant Phil Jones), dans un de ses mails adressés à Mike Mann, un autre climatologue renommé (auteur de la fameuse "crosse de hockey" dont nous aurons l'occasion de reparler) :
Mike,
The Figure you sent is very deceptive. As an example, historical runs with PCM look as though they match observations -- but the match is a fluke. PCM has no indirect aerosol forcing and a low climate sensitivity -- compensating errors. In my (perhaps too harsh) view, there have been a number of dishonest presentations of model results by individual authors and by IPCC.
Mike
la figure que vous avez envoyé est très trompeuse. Par exemple, des calculs historiques avec PCM (un ancien programme de simulations) paraissaient bien reproduire les observations, mais l'accord était un coup de chance. PCM n'avait pas de forçage indirect par des aérosols, et une faible sensibilité climatique - les erreurs se compensant. Dans mon optique (peut être trop sévère), il y a eu un certain nombre de présentations malhonnêtes de résultats de modèles par des auteurs individuels et par le GIEC.
Comme souvent dans les mails du "climategate", les climatologues, en privé, disent les choses bien plus clairement et honnêtement que ce qui en transparait dans les discours officiels. Bien sûr, tous les modélisateurs, dans tous les domaines, savent parfaitement qu'il n'est pas très difficile de reproduire plus ou moins bien des données avec des modèles différents, et donc faux. La validation est bien plus difficile, et en particulier, elle repose souvent sur le pouvoir prédictif de ces modèles. Or les courbes présentées ici ne testent absolument pas leur pouvoir prédictif, vu qu'elles ont été établies sur des données passées. Pour le peu de recul qu'on peut avoir depuis que les calculs ont été effectuées, moins de dix ans, l'évolution actuelle des températures ne plaide pas spécialement en faveur des modèles. Comme nous le verrons dans d'autres posts, beaucoup d'indicateurs semblent stagner actuellement, et en tout cas ne montrent aucun signe d'accélération, alors que toutes les projections futures exigent une accélération sensible du réchauffement dans les décennies qui viennent.