Le titre ne comporte -volontairement , vous l'avez compris- pas de point d'interrogation. Nous avons démontré dans les posts précédents qu'une croissance exponentielle ne pouvait durer qu'un nombre fini de temps de doublements, sous peine de voir apparaitre des nombres énormes sans signification physique. Le nombre exact peut être discuté, mais il est certainement inférieur à quelques dizaines : 100 est déjà totalement exclus, 2^100 ~ 10^30 = 1000 milliards de milliards de milliards - qu'est ce qui peut être mutliplié par autant dans la nature ?
A vrai dire, comme l'a fait remarquer un de mes lecteurs, il y a bien quelque chose qui peut croitre exponentiellement indéfiniment : c'est le rayon de l'Univers , dans le cas de la présence d'une constante cosmologique (qui semble bien exister). Cependant, comme j'ai signalé, il ne s'agit pas ici d'un processus physique dissipant de l'énergie , comme nous en avons besoin. Par ailleurs, le volume de l'Univers observable ne croit pas lui exponentiellement, et même, en cas d'accélération exponentielles de la taille de l'Univers, les galaxies finiraient par toutes sortir de l'horizon visible, et nos descendants éventuels pourraient finalement se croire seuls au monde ....il n'y aurait plus d'astrophysique extragalactique !
Si on excepte cette situation très particulière, il est évident qu'aucun phénomène physique ne peut atteindre ces valeurs. La croissance la plus forte a peut être été celle des ordinateurs, dont les caractéristiques ont longtemps obei à la loi de Moore, qui disait que la densité en transistors et la fréquence d'horloge doublait tous les 18 mois (en fait tous les deux ans dans l'observation initiale de Moore); ceci correspond donc à T2 = 1,5 ans . si on date les début des microprocesseurs des années 70, on aurait donc déjà 40/1,5 = 26 temps de doublement, ce qui est déjà énorme, et correspond à une multiplication par 2^26 = environ 64 millions environ. Nous ne sommes pas tout à fait aux limites physiques absolues de l'électronique, atteintes quand les effets quantiques empêchent le fonctionnement déterministe d'un ordinateur, mais il y a déjà depuis 2004 un ralentissement de cette croissance, et sa fin est proche.
Illustration de la loi de Moore pour les processeurs Intel, qui ont grandi à un taux un peu inférieurs à un doublement tous les 18 mois. La croissance s'est ralentie après 2004
Une conséquence inéluctable est que le taux de croissance de n'importe quel phénomène tend toujours vers zéro pour les temps très longs. On peut même etre plus précis : le taux de croissance, sur n'importe quelle période T, est inférieur (majoré ) par une quantité du type C/T, donc décroit comme l'inverse de T.
En effet si on se fixe un nombre maximum N de temps de doublements, sur toute période T, on doit donc avoir T < N T2 = 70*N/k , ce qui implique k < 70*N/T, ce qui est la propriété annoncée.
Comme indiqué, le nombre N est de l'ordre de "quelques dizaines", mais en pratique, il est tres improbable qu'on puisse par exemple multiplier la consommation de ressources naturelles ne serait-ce que par 10, ce qui donnerait 3 temps de doublements au maximum. On en déduit que k < 200/T soit
au plus de 1%/an pendant 200 ans
au plus de 0,1 %/an pendant 2000 ans
au plus de 0,01 %/an pendant 20 000 ans etc...
ceci s'applique aussi bien au passé qu'au futur, la croissance MOYENNE au cours des millénaires préindustriels n'etait que de l'ordre de 0,01 %/an.
En réalité, une croissance aussi faible n'est pas perceptible dans une vie humaine, mais elle n'etait pas monotone : il pouvait y avoir des phases de croissance, au moins locales, des empires se constituaient, des villes s'enrichissaient, mais ils se détruisaient au même rythme, au gré des guerres, des catastrophes, des changements climatiques .... Il est intéressant de remarquer comme a dit Skept que le concept de croissance (et son indicateur quantifié, le PIB), ne date en fait que d'à peine plus d'un siècle; d'une certaine manière avant, il n'y avait "rien à mesurer". Les représentations mythologiques anciennes étaient d'ailleurs bien plus basées sur de grands cycles (mayas, hindous) que sur l'idée de progrès indéfini. La succession de phases de croissance et de décroissance correspondaient bien mieux à la perception intuitive des sociétés humaines.
Sur le long terme, la seule possibilité est donc une croissance moyenne à peu près nulle, fluctuant en réalité entre phases de croissances et de décroissances, autour d'un niveau quasi-stationnaire.
Reste une objection que je n'ai pas traitée : ces limites semblent s'appliquer à des contraintes matérielles , mais peut-on faire croître l'économie de manière immatérielle, sans qu'elle ait besoin de ressources infiniment croissantes ?
Selon certains économistes théoriciens, ce devrait être possible, la croissance étant mise juste au crédit de l'inventivité humaine, de la création de nouveaux process, de la "réorganisation" en quelque sorte de plus en plus efficace de la société.
Evidemment des gains sont toujours possibles, et de fait, l'économie a cru depuis quelques décennies plus vite que la consommation de ressources, en particulier énergétiques. Cela traduit le fait qu'en plus de la consommation d'énergie qui a bien augmenté, la productivité énergétique aussi augmenté . Si on mesure l'économie par un indicateur X (en général le PIB, mais on pourrait en prendre un autre pour ceux à qui ce concept donne, à mon avis à tort, des boutons), on peut écrire de manière générale
X = E * X/E= E*P
où E est la consommation énergétique et P = X/E la "productivité", la quantité de X (par exemple le PIB) produit par unité d'énergie.
Il est logique de penser que l'inventivité humaine améliore constamment P; et donc que X peut croitre à la fois grâce à l'augmentation de E , et de P : c'est bien ce qui a eu lieu. Voilà par exemple l'évolution comparée du PIB et de la consommation d'énergie dans l'OCDE (source : manicore)
Notons néanmoins que si le PIB a bien augmenté plus vite que la consommation d'énergie, celle-ci a quand même augmenté en absolu. Autrement dit une augmentation de P n'a pas conduit à diminuer E , mais à permis d'augmenter à la fois E et encore plus X ! c'est le problème de l'effet rebond que j'avais déjà évoqué dans un autre post.
Mais la consommation d'énergie étant forcément un jour limité de toutes façons, pourrait-on faire croitre indéfiniment P? malheureusement cela semble buter sur les mêmes limites de l'exponentielle. Si E est borné, vouloir faire croitre X exponentiellement demandrait à faire croitre exponentiellement la productivité, donc la richesse produite par unité d'énergie; encore une fois, si il est admissible de la faire croitre de 10, 20, 50 % , peut être de la doubler ou de la quadrupler, il parait totalement absurde de la multiplier par des milliards de milliards. On ne fera jamais une navette spatiale avec un nanojoule ! la limite de l'exponentielle s'applique donc aussi bien à P qu'à E, et donc à X. Il n'est pas possible de dépasser certaines limites physiques.
Cependant, temporairement, bien sur, on peut penser que des améliorations de P pourraient contrebalancer la décroissance de E, ce qui permettrait de poursuivre une certaine croissance, ou de limiter la décroissance. Cela n'est pas impossible - la question qui se pose après est de savoir quel état asymptotique on peut espérer obtenir après la fin inéluctable des fossiles ? je ferai quelques réflexions dessus.