Le sommet de Durban est en train de s'achever dans l'indifférence générale, l'attention des médias étant bien plus attirée par les manoeuvres désespérées de l'UE de sauver son système monétaire. Ce changement de pôle d'interêt est d'ailleurs loin d'être anecdotique, et préfigure probablement l'époque prochaine où il sera de plus en plus clair que les problèmes d'épuisement des fossiles sont bien plus proches, et bien plus graves, que ceux posés le changement climatique.
Posé comme il l'est actuellement, la limitation des fossiles ne peut être qu'un échec. Pourquoi ? parce qu'elle pose des contraintes dont premièrement l'origine est obscure, et deuxièmement l'application est impossible.
Le but affiché dans les médias est "il faut tout faire pour ne pas dépasser 2°C".
Premier problème : pourquoi au juste 2 °C ? il est très difficile d'obtenir une réponse claire à cette question. Ca semble être l'estimation de la température atteinte dans les dernièrs interglaciaires, reconstruite indirectement par les mesures isotopiques dans les calottes glaciaires, et l'argument serait : au-dessus, on ne sait pas ce qui va se passer.
Reconstruction des températures d'après la concentration isotopique dans les glaces de Vostok, au pôle Sud. La courbe bleue correspond à la rencontruction en température, d'après Petit et al., Nature, 1999
Une première remarque,c'est quand même que la mesure isotopique dans les glaces n'est quand même pas une mesure très précise de la température moyenne du globe. Il est d'ailleurs assez amusant que les mêmes mesures, à l'échelle du dernier millénaires, montrent que le réchauffement actuel ne semble avoir rien d'extraordinaire.
Reconstruction des températures au Groenland, d'après Kobashi et al., GRL, 2011.
Face à ce graphique, les climatologues se souviennent tout à coup que l'indicateur n'est qu'approximatif, que les variations ne sont que locales, et qu'il ne faut pas le prendre trop au sérieux. Mais quand il s'agit de gouverner la politique mondiale, la glace vieille de centaines de milliers d'années devient tout à coup très fiable ...
Une deuxième remarque, c'est que si c'est le seul paramètre utilisé pour se fixer le seuil à ne pas dépasser, alors on se demande bien à quoi a servi tout le reste du travail du GIEC, en particulier le WG III. A quoi sert de s'échiner à quantifier l'effet sur les forêts, les précipitations, le niveau de la mer, etc.. et l'impact de tout cela sur les sociétés humaines, si c'est finalement pour conclure "bon on a deja connu 2°C (à la louche) dans le passé, après c'est l'inconnu, donc on va décider de s'arrêter avant " ? on aurait pu économiser un paquet d'études ....
Ensuite, il y a le problème de savoir à quoi correspond en pratique le seuil de 2°C. A combien de fossiles sommes nous autorisés? en réalité personne ne sait, puisque les estimations de sensibilité climatique sont entachées de grandes incertitudes. La sensibilité étant logarithmique, la variation de température pour une concentration C par rapport au seuil préindustriel de 280 ppm est ∆T = S ln(C/280)/ln(2) , où S est la sensibilité climatique. Si on prend l'intervalle de confiance de S de 2,1 à 4,4 °C par doublement, une valeur de 2°C au dessus des valeurs préindustrielles correspondrait à un intervalle de 280*2^(∆T/S) soit une valeur comprise entre 380 ppm pour les fortes sensibilités à 541 ppm pour les faibles. 380 ppm est d'ailleurs déjà dépassé, mais en arrêtant les fossiles maintenant, une partie du CO2 serait réabsorbée et nous pourrions terminer en dessous.
Le problème est que cette incertitude se traduit par une incertitude énorme sur la quantité de fossiles autorisées. Actuellement, l'injection de 10 Gt de carbone par an environ fait augmenter le CO2 de 2ppm /an. La moitié est absorbée, mais en réalité si on attend assez longtemps, environ les 3/4 seraient absorbés asymptotiquement. On peut donc considérer que chaque ppm d'incertitude correspond à 10 Gt de carbone. L'incertitude précédente de 160 ppm correspond alors à une incertitude de 1600 GtC ... bien plus que les réserves prouvées restantes de tous les hydrocarbures ! evidemment on peut prendre l'hypothèse la plus contraignante et se ramener à 380 ppm, ce qui oblige à arrêter dès maintenant presque tous les fossiles. Mais quelles seraient les conséquences si on s'était trompé et que la sensibilité est plus faible? serions nous capables de plonger le monde dans le chaos pour rien ?
Le discours ambiant semble admettre sans discuter que le seuil de 2°C prime sur tout, ce qui revient à dire que le coût est infini, par rapport au coût de tout ce qu'on pourrait faire pour l'éviter. Mais c'est très loin d'être une évidence. Après tout il n'y a aucune estimation de ce que coûte REELLEMENT une augmentation de 2°C. Même si Hansen décrit un futur catastrophique avec fonte totale des calottes glaciaires, personne n'a de certitudes qu'il a raison. Et même si il avait raison, son argument revient à dire qu'il faudrait saborder la civilisation pour la sauver - drôle d'histoire de Gribouille. En arrêtant les fossiles maintenant, le monde serait instantanément plongé dans le chaos, tout cela pour éviter des conséquences hypothétiques dans plusieurs siècles. Mais dans plusieurs siècles, qui sait comment sera la civilisation de toutes façons? qu'avons nous à sauver ? qui sait si nous n'aurons pas une humanité redevenue nomade, qui se fichera bien de savoir où est le niveau de la mer ? l'humanité a traversé plusieurs glaciations et déglaciations, avec des niveaux de la mer variant de centaines de mètres. Le tableau brossé par Hansen d'une civilisation survivant à la disparition des fossiles mais anéantie par le changement climatique est tout à fait contestable - il est bien plus probable que ce soit le contraire.
Il y a sans doute un seuil au-delà duquel les fossiles ont plus d'inconvénients que d'avantages. Le problème, c'est que personne ne sait le calculer, et qu'on compense une incertitude scientifique par un slogan politique. Pire, il est probable que toutes les mesures proposées n'aient aucun effet réel sur la quantité de fossiles brûlés. En effet, les seules contraintes fortes sur la consommation sont sur les pays industrialisés (et encore, à condition qu'ils ratifient le protocole). Les pays en voie de développement, eux, sont exclus des contraintes sur la consommation. C'est tout juste si on les prie d'améliorer l'efficacité de leur économie, en diminuant leur intensité énergétique, ce qui revient, d'ailleurs, à admettre qu'ils seraient bien incapables de se développer sans fossiles. Cependant, diminuer l'intensité énergétique n'assure nullement qu'on va diminuer la consommation globale. Cela l'assure d'autant moins que pendant les 30 dernières années, l'intensité énergétique a constamment diminué , et la consommation énergétique, elle , a constamment augmenté.
La raison est simple : diminuer l'intensité énergétique ne dit rien sur la quantité totale de biens qu'on va produire. Ca ne fait diminuer la consommation totale que si le total des richesses produites est gardé constant. Mais rien ne dit que c'est le cas (et de fait, ça ne l'est pas !). Le gain d'intensité énergétique peut tout aussi bien être mis à profit pour produire PLUS de richesses avec LA MEME quantité d'énergie. Cette évidence semble constamment ignorée des écriveurs de scénarios qui supposent une croissance économique constante, donnée à l'avance, sans réaliser que modifier le fonctionnement de l'économie, dans un sens de plus grande efficacité, sera toujours mis à profit pour produire plus de richesses : ce ne sont pas les besoins qui manquent dans le monde ....
Et même si, par extraordinaire, la consommation baissait, personne ne dit combien de temps on va continuer à consommer des fossiles. Or la quantité totale émise dépend non seulement de la consommation annuelle de fossiles, mais aussi de leur durée de vie. Diminuer la consommation ne fera qu'en laisser pour plus tard, sauf dans le cas où on trouverait un moyen de s'en passer totalement dans le futur - supposition tout à fait hypothétique.
Notez bien que je ne dis pas qu'il ne sert à rien d'économiser des fossiles, bien au contraire. C'est tout à fait nécessaire, surtout dans l'optique de leur dépletion proche. Je dis simplement que ça n'aura nullement comme effet de diminuer la quantité totale consommée - simplement parce qu'on ne sait toujours pas s'en passer. La seule façon de s'assurer qu'on ne dépasse pas une certaine quantité de fossiles serait tout simplement d'en interdire l'exploitation au-delà d'un certain périmètre -mais cette option est jugée inacceptable, là encore en contradiction avec l'idée que le danger couru serait plus grand que tout, alors que la réduction de la consommation n'aurait elle pas autant de conséquences.
Ainsi, l'échec vient dès le départ de la présence de nombreuses contradictions dans le discours initial : un danger présenté comme absolu, mais qu'on ne sait pas quantifier, et qu'on applique de manière vaguement probabiliste. L'idée qu'on pourrait sans grand problème se passer de fossiles - mais le refus de l'imposer aux PVD en leur demandant de se développer sans eux. L'idée qu'il faudrait réduire la consommation - mais pas limiter la production. En réalité, tout le monde sait très bien que l'économie mondiale repose sur les fossiles, qu'on continue à chercher desespérément aux quatre coins du globe, sous tous les régimes, et dans tous les pays. Pire, le monde n'est pas entré dans une crise ciimatique comme on le raconte parfois (le climat n'a quasiment pas varié depuis 10 ans ...) , mais dans une crise énergétique, qui se traduit par une crise monétaire et économique. Il commence à mesurer l'ampleur des problèmes posés par la limitation des ressources, bien plus présents, immédiats, et graves, que des spéculations sur le niveau des mers du prochain siècle que personne n'ira vérifier. Il n'y a donc rien d'étonnant dans le résultats des négociations climatiques, qu'on pressent assez dérisoires ..