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26 novembre 2011 6 26 /11 /novembre /2011 19:18

Deux ans presque jour pour jour après la publication dans des circonstances toujours non élucidées de correspondances électroniques et de différents documents en provenance du Climate Research Unit, affaire décrite couramment comme un "climategate", une nouvelle fournée d'environ 5000 emails a été rendue publique il y a une semaine. Ces mails ont été placés sur un serveur russe. Il se pourrait qu'il s'agisse originellement du même "vol" qui seraient distillé par paquets, années après années : le site indique que 250 000 documents seraient stockés sur un site protégé.

L'affaire du climategate est décrite, selon les sources, comme un des plus gros scandales scientifiques de notre temps, ou comme une péripétie sans importance. La nouvelle livraison n'a pas provoqué un émoi médiatique extraordinaire, et à vrai dire, il ne semble pas qu'elle recèle de révélations fracassantes. Il est d'ailleurs difficile de trouver aussi des révélations " fracassantes" dans la première livraison d'emails; des commission d'enquête officielles ont "blanchi" les scientifiques impliqués (Phil Jones, Keith Briffa, Michael Mann en particulier) de l'accusation de "mauvaise conduite" scientifique, mais ces commissions ont été elles-mêmes jugées partiales par le camp adverse. Une affaire donc somme toute confuse et qui n'aura pas fait évoluer les positions ni dans un sens, ni dans l'autre.

Encore une fois, je vais donner mon avis personnel sur ce que j'ai pu en lire. Tout d'abord, si il est vrai que la méthode de voler des emails est plutot désagréable et peu orthodoxe, on peut admettre qu'on puisse se résoudre à cette extrémité s'il s"agit de révéler un scandale scientifique. Il n'y a pas eu de démenti de l'authenticité de ces emails, et à ma connaissance, aucune action juridique contre ceux qui les ont publiés et commentés sur la toile. Je prendrai donc ces mails comme un matériau d'historien, qu'on peut utiliser comme n'importe quelle source. Que peut-on en tirer?

D'abord, certainement pas des preuves de manipulation organisée des données, d'un complot entre scientifiques visant à falsifier volontairement des résultats. L'argument des climatologues est que ces emails prouvent bien que la science s'est faite "honnêtement". Cependant, le sens général de beaucoup de messages laisse quand même l'impression d'une communauté qui a cherché à "défendre sa salade" en minimisant systématiquement toutes les causes d'incertitude, et en organisant plutot méthodiquement les contre-attaques, y compris en contrôlant l'accès aux publications scientifiques. Plutot qu'une communauté sans a priori , faisant un travail objectif qui pourrait finalement aboutir à n'importe quelle conclusion, les climatologues confirment l'impression d'une communauté "défendant une cause", avec une mentalité de bunker, impression fortement corroborée par le ton général des commentaires de ses supporters. 

Le plus étonnant est cependant la présence dans de nombreux mails de doutes et de critiques que la communauté s'adresse à elle-même, doutes tout à fait honorables et nécessaires dans la démarche scientifique, mais qui tranchent singulièrement avec l'assurance affichée vis à vis de la société que "tout est compris". La plupart des critiques des climatosceptiques trouvent un écho dans certains mails,  où les climatologues expriment les mêmes doutes que ceux qu'ils considèrent comme des "négationnistes". Quelques exemples :

* bien sûr le célebre "hide the decline" (cacher le déclin) de Phil Jones.  Il ne s'agit pas du tout, comme certains l'ont hâtivement commenté, de cacher le déclin des températures qui seraient observé actuellement. Il n'y avait pas de déclin observé dans les températures instrumentales au moment où le mail a été rédigé. Le problème concerne les courbes de reconstructions des températures passées, à l'aide d'indicateurs indirects (les "proxies"). Ces indicateurs, reposant sur des données souvent biologiques comme les cernes d'arbres et la densité des sédiments organiques, sont censés reproduire la température moyenne du globe. Mais ils montrent une fâcheuse tendance  à ne pas coller aux courbes modernes instrumentales. En particulier la dendrochronologie, basée sur les cernes d'arbres, a tendance à montrer une courbe déclinante depuis 1960 alors que les températures instrumentales, elles, montent ! c'est le problème dit de la "divergence", reconnu et discuté parmi les climatologues.

 http://i.dailymail.co.uk/i/pix/2009/12/12/article-0-07949B82000005DC-809_634x447.jpg

Une représentation de la courbe publiée dans le rapport du GIEC superposant la courbe instrumentale (en rouge) à différentes re constructions, dont la celle de Briffa en vert. A droite la courbe verte prolongée après 1960, jettant un doute sur sa capacité à reproduire réellement les températures. Crédit : Daily Mail

le mail de Phil Jones expliqué comment il avait appliqué le "truc" de Michael Mann pour établir un graphique des températures: le "truc" était double, en réalité : effacer la courbe des proxies postérieure à 1960 qui montrait la divergence, et tracer une seule courbe joignant celle des proxies à la température instrumentale moderne, donnant l'impression d'une montée régulière.

Si ce n'est pas une falsfication de données, c'est quand même, pour le moins, une indélicatesse scientifique. L'argument que le "truc" était un "truc mathématique", une astuce de calcul, ne tient pas du tout : ce n'était qu'un "truc" de présentation des résultats, pas du tout un traitement mathématique des données. Et l'argument que c'était "sorti du contexte" ne veut lui non plus rien dire : le contexte et la controverse sur la validité des proxies est parfaitement clair, et tous les commentateurs réellement au courant de l'histoire ne s'y sont pas trompés. Steve McIntyre a fait des analyses détaillées de ce qui avait été effacé, et a montré que d'autres périodes qui ne "collaient pas" avaient aussi été délibérément effacées. Tout ceci donne quand même l'impression d'une présentation "arrangée" pour ne pas susciter trop d'interrogation sur la validité des indicateurs employés pour reconstruire les températures passées, validité justement contestée par plusieurs "sceptiques".

D'autres emails révèlent bien les états d'âmes des climatologues. Ainsi Ken Trenberth se plaignant de ce qu'il ne pouvait pas expliquer l'absence de réchauffement des océans depuis 10 ans, qui ne colle pas aux résultats des modèles, et que c'était une "mascarade". Keith Briffa se plaignant assez méchamment de la tendance à "régresser le verbiage non borné" de son collègue Michael Mann, et critiquant assez vertement ses reconstructions. Tom Wigley se plaignant qu'il y ait eu "un certain nombre de présentations malhonnêtes des modèles", avec un accord "fictif" avec les données, des erreurs se compensant.Dave Shimel mettant en garde qu'il ne s'agit pas de prendre des scénarios d'émissions réalistes , mais seulement illustratifs de certaines situations, qu'elles soient plausibles ou pas. Et que les conseils à donner doivent tenir compte du fait que nous n'avons pas une grande confiance dans les scénarios d'émissions, ni dans les conséquences prévues par les modèles..(!).

De plus de nombreux mails adressent le problème de la demande de communication des données et des algorithmes, avec des stratégies élaborées pour y échapper et détruire les traces (emails, documents), s'y référant.

Tout cela, même si il n'y a pas de preuve de falsification consciente des données, donne quand même l'impression d'un travail rempli d'incertitudes qu'on cherche au maximum à dissimuler. A cet égard, une des phrases qui m'a paru la plus étonnante est celle présente dans un autre mail de Phil Jones, que je reproduis in extenso :

"As you know, I'm not political. If anything, I would like to see the climate change happen, so the science could be proved right, regardless of the consequences. This isn't being political, it is being selfish.

"

Traduction : "comme vous savez, je ne suis pas un politique. Si je voulais quelque chose, ce serait de voir le changement climatique arriver, pour que la science puisse être confirmée, quelles qu'en soient les conséquences. Ce n'est pas être politique : c'est être égoiste".

On s'est un peu gaussé de l'attitude "égoïste" de Phil Jones désirant le changement climatique , quelles qu'en soient les conséquences. Mais le plus étonnant, pour moi, n'est pas là. C'est qu'il "souhaite" que le changement climatique "arrive" , et que la science puisse être "confirmée" (proved right). Mais Phil... vous voulez dire ... que ce n'est pas encore le cas ? 

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commentaires

T
Le commentaire n°28 est évidemment le seul raisonnable à faire concernant la conclusion de ce billet qui, en faisant mine de ne pas comprendre ce qu'a dit Jones, éclaire beaucoup sur les préjugés<br /> de son auteur. Le temps du scientifique n'est pas celui du politique, et encore moins celui des media.
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C
<br /> <br /> Il me semble que je comprends assez bien l'anglais, pour comprendre ce qu'a dit Jones : il aimerait que le changement climatique arrive pour prouver que la science a raison. Si il faut faire un<br /> voyage dans le futur pour "calibrer les courbes", comme le dit le commentaire #28, c'est bien donc que ce n'est pas encore le cas ? je ne vois pas ce qu'il y a d'ambigu dans la phrase ...<br /> <br /> <br /> <br />
E
Je penserais volontiers que Phil jones voudrait que le temps s'accelère, pour que passe la période durant laquelle "l'inertie climatique" fait que rien ne semble changer.<br /> <br /> En fait, je pense qu'il serait d'accord pour un voyage dans le futur et un retour à aujourd'hui, juste pour calibrer les courbes. Tout cela parce que le climat ne change pas visiblement dans le<br /> temps d'un mandat politique et encore moins dans le temps médiatique et consummériste.
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P
the fritz,<br /> <br /> "Et puis franchement, se la ramener après le climate gate 2, c'est peut-être pas très malin;"<br /> <br /> Oui, et autant que cela soit clairement énoncé, connu et compris.<br /> <br /> " il faut crever l'abcès, "<br /> <br /> Encore une fois, oui. Et cela aurait dû être fait en 2009 encore, il n'aurait pas fallu plus de quinze jours pour régler toute l'affaire entre gens sains d'esprit. Beaucoup de dégâts colatéraux<br /> auraient pu être évités.
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T
Et puis franchement, se la ramener après le climate gate 2, c'est peut-être pas très malin; je pense que le silence à propos de ces nouveaux mails dans les médias,ne fait écho qu'à la consternation<br /> qui ne fait que grandir dans le milieu scientifique: je pense que définitivement "la cause" est entendue et comprise et comme ils ne sont pas tous idiots, que les politiques et économistes<br /> commencent de même( d'après les commentaires sur Durban), je crois que le pire seraient que scientifiques , médias et tuti quanti fassent le mort et continuent comme avant: il faut crever l'abcès,<br /> absolument, sinon cela laissera un arrière goût amer dans le milieu scientifique et un pourrissement néfaste dans le milieu politique et économique
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T
PHI<br /> Olivier ne s'avance pas à beaucoup plus qu'à la critique de Lamb ou alors mitraille de la bibliographie qu'il ne maîtrise pas<br /> --------------------------------<br /> Classer Olivier dans les climatologues; si jamais il lit cela , il va avoir les chevilles qui enflent, lui qui navigue dans l'ombre de Ladurie qui accepte lui-même qu'il n'y comprend rien
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