L'histoire commence par un communiqué de la NASA intitulé : "Satellites see Unprecedented Greenland Ice sheet Surface Melt" (Les satellites voient une fonte sans précédent de la surface de la couche de glace du Groenland), illustrée par cette image saisissante :
A gauche : l'état de la surface le 8 juillet. A droite : l'état 4 jours après, le 12 juillet. L'article dit qu'alors que la fonte ne concerne que 40 % de la surface normalement, cette année, pendant quatre jours, elle a concerné 97 % de la surface.
Il n'y a aucune erreur dans le communiqué, bien sûr, mais la rédaction est telle qu'elle laisse l'impression aux lecteurs inattentifs que "97 % de la glace du Groenland aurait fondu". Ce qui est évidemment totalement absurde, la couche de glace sur le continent atteignant plusieurs milliers de mètres, et la fonte de cette glace provoquerait une montée de 7 mètres du niveau des océans. Un tel évènement est bien évidemment impossible en quatre jours, et ne serait pas passé inaperçu !
alors de quoi s'agit -il ? simplement de fonte superficielle. Tous les ans, en été, la température de surface d'une partie de la glace atteint 0°C et elle fond superficiellement à certains endroits. L'essentiel de cette eau va couler comme sur la Terre et former des "mares", qui regèleront en hiver.
Les satellites sont capables de distinguer la glace de l'eau liquide en surface car elle renvoie différemment les ondes radar, et peuvent donc cartographier les régions où cette fonte apparaît. Ce phénomène est normal et concerne donc environ 40 % de la surface tous les ans. La quantité de glace fondue est ridicule par rapport aux milliers de mètre d'épaisseur de l'indlandis. Mais cette année, et pour la première fois depuis les satellites (30 ans environ) , elle a concerné pratiquement toute la surface, y compris le "sommet" de la calotte.
Est-ce pour autant "sans précédent" ? d'après les glaciologues, en fait, ces évènements se produisent rarement, mais on a des traces dans l'enregistrement des carottes glaciaires d'évènements de fonte au sommet, le dernier datant de 1889. Dans le passé, ils se sont produits en moyenne une fois tous les 150 ans depuis 10 000 ans, mais de façon irrégulière, car il n'y a pas eu d'évènements de ce genre pendant 700 ans autour du "petit âge glaciaire", en revanche , il y en a eu quatre pendant l'optimum médiéval.
Il s'agit donc d'un évènement rare à l'échelle humaine, mais pas à l'échelle géologique, plus courant dans les périodes chaudes bien sûr et absent dans les périodes froides. Indéniablement, la période actuelle est plutôt chaude, mais le retour de cet évènement une centaine d'années après le précédent n'est pas anormal (ce qui le serait, c'est qu'il se multiplie à l'avenir).
Le réchauffement du Groenland est-il géologiquement exceptionnel? il y a quelques années, un bloggueur avait représenté l'enregistrement des températures telles qu'on peut les lire sur les carottes glaciaires, d'après les données GISP2 publiées par Alley en 2000
voila sur les 600 dernières années :
Effectivement, on voit une montée spectaculaire en "crosse de hockey" de l'époque moderne - ça semble bien pointer une origine anthropique ! notons quand même que la montée, comme souvent avec les proxies, semble démarrer plutot au milieu du XIXe siècle et non à l'époque moderne, qui n'apparait pas de toute façon dans les courbes puisque les glaces ne commencent à être fiables qu'avant 1900. A priori il n'y a donc pas de lien directe entre cette montée et le CO2.
Que se passe-t-il si on remonte le temps ?
voici la courbe depuis 800
oups, la montée du XIXe siecle semble tout à coup assez ridicule devant celle autour de l'optimum médiéval de l'an 1000. Rappelons que c'est à cette époque que le Groenland a été découvert et colonisé par le viking Erik le Rouge, qui lui a donné ce nom de "pays vert" - même si évidemment il n'était surement pas couvert de prairies, le climat était probablement plus doux et chaud que maintenant, jusqu'à ce que le petit âge glaciaire extermine les colonies vikings qui s'y étaient installées. Meme en tenant compte de la période 1900-2000 qui n'est pas sur ce graphique, l'optimum médiéval était probablement plus doux que maintenant, au moins au Groenland.
Si on remonte le temps, on s'aperçoit que les fluctuations d'amplitude et de vitesse comparables à l'actuelles étaient courantes dans les derniers millénaires :
depuis - 3000 :
même l'optimum médiaval semble petit maintenant par rapport aux périodes plus chaudes du passé, dans un contexte de refroidissement général depuis 5000 ans, probablement lié aux variations astronomiques d'ensoleillement (cycle de précession des équinoxes qui modifie l'ensoleillement relatif en été et en hiver). En revanche la variabilité en dent de scie est trop rapide pour être astronomique : elle signe de mécanismes internes de variabilité (cycles océaniques ?) qui ne sont pas encore bien déterminés. Et la variabilité moderne n'a rien de spécial à cette échelle.
Sur les périodes plus grandes, on voit que l'époque actuelle (appelée par les géologues "l'holocène") est globalement une période chaude interglaciaire, de durée d'ailleurs plutôt anormalement longue (là encore, pas d'explication connue sur cette durée à ma connaissance). Voilà à quoi ressemble l'holocène depuis la fin de la dernière glaciation (marquant l'apparition de l'agriculture et la transition vers le néolithique, il y a environ 12000 ans) :
et sur les derniers 400 000 ans :
Evidemment la crosse de hockey initiale est devenue un détail insignifiant de la courbe. La fonte "sans précédent" de cette année est probablement un phénomène "très courant" des périodes interglaciaires, à cette échelle. Et il n'y a rien dans ces courbes qui montrent que les températures actuelles soient exceptionnelles par rapport au passé. Ca ne signifie pas bien évidemment que le CO2 ne soit pas un gaz à effet de serre et qu'il ne contribue aucunement au réchauffement. Ca prouve seulement qu'il y a d'autres causes de variabilité et que le CO2 n'a pas (ou pas encore) eu d'effet significativement supérieur à ces causes naturelles, d'après en tout cas ces observations.