La nouvelle a été annoncée et est abondamment relayée sur les médias : d'après l'INSEE, la France est repassée au-dessus du seuil de 8 millions de "pauvres" , vivant avec moins de 954 euros par mois, soit 60 % du revenu mensuel moyen. Si on prend la pauvreté au-dessous de 50 % du revenu mensuel moyen, soit 795 euros, ce nombre tombe à 4,5 millions. Historiquement, ces nombres étaient en décroissance jusque dans les années 2000, se sont stabilisés, puis recroissent depuis 2005.
Evidemment, la pauvreté définie par un seuil proportionnel au revenu moyen est relative. Elle ne peut par définition pas disparaître, sauf dans le cas d'un resserrement considérable et improbable de l'échelle des revenus. Un pauvre à la limite de pauvreté en France est à peu près dans la moyenne mondiale. Les pauvres en France ont souvent un appartement, un chauffage minimal, peuvent se nourrir (plus ou moins bien), ils ne sont pas menacés de famine comme en Afrique. Néanmoins ils rencontrent des difficultés réelles pour bien se chauffer, ont du mal à recevoir des amis, et sont au bord de la précarité absolue pouvant les transformer en SDF. Ce sont probablement souvent des femmes seules, avec enfants, immigrées, cumulant les difficultés. Derrière les chiffres et les analyses, se cachent des réalités vécues de "galère".
Telle qu'elle est exprimée, l'avancée de la pauvreté est donc plus une mesure de l'inégalité croissante que de la vraie paupérisation. Pour savoir si il y a vraiment plus de gens qui gagnent objectivement moins, il faudrait croiser avec l'évolution du revenu moyen. Mais celui ci n'a quasiment pas augmenté ces dernières années.
Les problèmes énergétiques sont souvent traités sous l'aspect technique et froid des chiffres, y compris sur ce blog, mais il me semble important de garder la réalité en tête. On entend souvent que l'énergie est "trop importante pour être traitée par les lois du marché", qu'il faudrait accepter de payer plus cher, voire que le PIB n'est plus une quantité pertinente. A mon avis c'est un gros contresens. Il n'y a rien de plus lié à l'économie que l'énergie, l'énergie ne sert qu'à l'économie ! Payer cher l'énergie, c'est payer cher tout ce qui est produit avec. De l'énergie bon marché, c'est précisément ce dont on a besoin pour être riche, c'est précisément CE QUI nous a rendu riches. Une énergie plus chère rend mécaniquement la société plus pauvre, et augmente donc le nombre de pauvres.
La plupart du temps, les questions énergétiques sont traitées sur le plan de solutions techniques mirobolantes à base de panneaux solaires dans l'espace, de production d'hydrogène , de culture d'algues, en précisant bien que ce sera beaucoup plus cher, mais que "il faudra bien accepter de payer" ou "on en a tellement besoin qu'on la produira à n'importe quel prix", ou même que "ça deviendra rentable quand les fossiles seront chers". Mais quand on regarde la réalité de la société, on a une image bien différente; un pauvre qui peut à peine se payer le chauffage ne va bien évidemment pas poser des panneaux solaires sur son balcon, ni acheter une voiture à l'hydrogène. Il ne va pas consommer de l'énergie "parce qu'il en a absolument besoin", il va se la payer parce qu'il peut encore le faire, et si il ne peut plus le faire, il tombe dans la précarité absolue - bien évidemment pas par plaisir et par volonté.
La vraie nature des crises de l'énergie, ce n'est pas une nature technique, c'est une nature sociale. Les vrais défis sont dans la gestion des crises inévitables qui vont se produire, dans l'augmentation des inégalités qui risque d'en résulter , les classes sociales élevées ayant les moyens de garder leur niveau de vie, et de faire supporter aux plus pauvres le coût des récessions. Les solutions techniques produisant de l'énergie chère pour remplacer une autre énergie devenue chère ne servent pas à grand chose : si on n'a plus moyen de se payer les secondes, on n'a pas non plus moyen de se payer les premières. Il est d'ailleurs illustratif de voir comment les aides aux énergies renouvelables ont été annihilées par la crise et le manque de financements qui en a résulté.
L'orgine de cette erreur vient aussi du discours dominant sur le danger climatique, qui a été bâti sur des scénarios de croissance continue au XXIe siecle qui nous rendrait trop consommateurs, donc trop riches. Le danger climatique vient de l'idée initiale que nous avons trop de richesses à notre disposition, et qu'il faudrait se restreindre pour des raisons écologiques. Je soutiens l'idée que la réalité est inverse. La situation actuelle montrent bien au contraire que c'est la fin de la croissance qui est notre principal problème - et cela invaliderait dès le départ la plupart des scénarios trop fossiles intensifs, comme nous le verrons.
Plus que de solutions techniques miracles plus qu'aléatoires, l'urgence actuelle, c'est une prise de conscience rapide de la gravité de la situation, et une réflexion en profondeur de ce que doit être une société confrontée au problème de la non-croissance, voire de la décroissance. Le discours actuel des politiques montre hélas qu'on est loin d'une telle prise de conscience. On se contente d'agiter le mirage de la relance de la croissance, ou de se réfugier derrière l'idée que "la Science" trouvera une solution - les scientifiques se voyant assignés au rôle du sorcier amenant la pluie. Ce serait une bonne surprise si des solutions techniques à la pénurie des fossiles étaient trouvées, mais il paraît peu raisonnable d'y compter de façon certaine.